La chronique littéraire de Noël Godin.
Ernest Cœurderoy (1825-1862) est l’un des rares trublions utopistes avec Joseph Déjacque et bien entendu Charles Fourier à avoir réellement préconisé de tout-tout-tout jeter à bas pour tout-tout-tout réinventer au départ des subjectivités débobinées. Mais l’on désespérait de pouvoir découvrir dans sa totalité son brûlot capital Jours d’exil (1854) que les petits Suisses des éditions Héros-Limite ont osé rééditer malgré sa corpulence (924 pages !) et son extraordinaire virulence. L’objectif premier, s’écrie (...)
Aucun CRS recevant sur la toiture le Dictionnaire critique de l’utopie au temps des lumières (éd. Georg) orchestré par les trois professeurs helvètes Bronislaw Baczko, Michel Porret, François Rosset ne devrait soutenir le choc : il atteint les 1 408 pages. Cette somme gargantuesque cosignée par une cinquantaine de fébriles chercheuses et chercheurs commence en beauté avec la description d’un grand succès théâtral carmagnolesque de 1793 tombé aujourd’hui dans l’oubli : Le Jugement dernier des rois de (...)
Les livres dangereux pour les valeurs établies ne courent pas les Fnac. Mais Sexe, cosmos et utopie en est un. Les livres dangereux pour les valeurs établies ne courent pas les Fnac. Et c’est net comme torchette, Sexe, cosmos et utopie de Patrick Samzun (Presses universitaires de Vincennes), dont je signalais déjà le mois dernier la puissance de feu séditieuse, en est un. Il propose de « régénérer notre imaginaire sexuel » à la lueur des écrits hédonistes provocateurs de Diderot, Rétif de La (...)
Fort heureusement, les Lettres à Thomas More sur son utopie (et celles qui nous manquent) de l’utopologue patenté Thierry Paquot (La Découverte) ne sont pas tout à fait ce qu’elles paraissent être. En effet, ce n’est pas là un encensement du rigoriste auteur de L’Utopie (dont l’oeuvre scolastique complète comporte 21 gros volumes !). C’est sans chercher à « couvrir » le grand crack des lendemains meilleurs qu’elles racontent sa course aux honneurs et son penchant pour le bonheur ascétique. Et puis ce n’est (...)
« Mieux vaut voyager avec espoir qu’arriver à destination », clamait volontiers R. L. Stevenson. Dans cet état d’esprit badinement risque-tout, l’envoûtant écrivain argentin Alberto Manguel, co-auteur il y a trente ans d’un fort bandatoire Dictionnaire des lieux imaginaires (Actes Sud), a sélectionné pour la collection Bouquins de Laffont sous le titre Voyages imaginaires, cinq utopies littéraires insolites tout à fait méconnues qu’il a amarrées à un classique du genre autant troué aux mythes qu’aux (...)
Je sors complètement exténué et débandant de la lecture en vol plané de L’Utopie entre idéal et réalité (éd. Libre et solidaire) du docteur en philosophie Florent Bussy : c’est un chalet de nécessité dans lequel s’agglutinent les plus pesantes évidences « citoyennes ». À savoir, jambon à cornes !, que l’utopie est plus que jamais nécessaire, qu’elle n’a d’ailleurs jamais disparu « cheminant parallèlement à la modernité » (sic), qu’elle tente de se libérer de ses ambiguïtés, qu’elle indique ce qui est possible et (...)
« Faire pièce à l’idéologie mortifère qui gouverne le monde », selon la formule de Serge Latouche, c’est l’objectif jojo de quelques livres récents. À commencer par l’anthologie roborante du professeur Latouche dont on a déjà pas mal causé dans les médias alternatifs. Mais ce qui n’a guère été souligné à son propos, c’est qu’à côté des utopistes attendus (les Fourier, les Bookchin, les Debord, les Giono, les Kropotkine…) ou des visionnaires renommés (Bataille, Tagore, Baudrillard, Pasolini, Bernanos ou la truculente (...)
Jimmy Gladiator était une intrépide utopie anarcho-burlesque vivante à lui tout seul. Il a dévissé son billard au mois d’avril. Hommage. Alors qu’à l’heure où se frigoussent ces lignes, Christophe Castaner, Luc Ferry et bien d’autres dangereuses nuisances continuent à nous pomper l’oxygène, le fabuleux poète émeutier Jimmy Gladiator a bel et bien, lui, dévissé son billard le 10 avril dernier. Je ne lâche pas les grandes eaux parce que, dans un faire-part funéraire, ses frères et sœurs d’armes les plus (...)
Quelques livres récents délaissés, attisant le désir de se bigorner pour un monde plus bandant, méritent d’être fourrés dans vos sacs de voyage. En vrac : Le dehors de toute chose, d’Alain Damasio (aux éditions La Volte), déchire le cocon du « consensus massif » et en appelle à « désincarcérer les forces de vie que nos paresses et nos peurs enclosent » : « Laissons nos groupuscules de désirs prendre les armes et la parole ! » ; « Qui de vous aura la grandeur de vouloir inventer ce que vivre peut être ? » (...)
Le bouquin « Dix petites anarchistes » raconte les aventures de dix impétueuses pétroleuses qui s’en vont bâtir au bout du monde une communauté idyllique où régnerait « l’anarchie à l’état pur ». Sous leurs dehors débonnaires, la plupart des écrivains utopistes ne se révèlent pas seulement raseurs, rasants et rasoirs. Pas seulement, jambon à cornes ! Ils affichent extrêmement vite aussi leurs tendances despotiques. C’est que s’ils nous souhaitent plein de bonnes choses dans un monde joliment ré-échafaudé, (...)