Cap sur l’utopie

« Un nouveau monde aux destins nouveaux »

Forêt de Sivens, dans le Tarn, déboisée à coups de tronçonneuses et de CRS. Participant au ravitaillement de jeunes rebelles anti-barrage perchés dans les derniers arbres de la ZAD du Testet, je glisse dans la corbeille des vivres le livre très chouettos que je viens de terminer sous le regard bovin des gardes mobiles.

On peut tenir Mondes nouveaux et Nouveau Monde du professeur Pierre-Luc Abramson (Les Presses du réel) pour l’étude la plus mastarde à ce jour sur les utopies sociales en Amérique latine au XIXe siècle. Certes, on y retrouve les principaux cracks européens du complot utopiste, qu’ils aient jeté tout d’un coup l’ancre en Amérique comme Saint-Simon, Victor Considérant ou le lourdingue Michel Chevalier, ou qu’ils n’aient jamais mis un doigt de pied là-bas comme les chers Proudhon et Fourier. Mais si cette brique mérite d’être chouravée, c’est surtout parce qu’elle retrace avec minutie de grandes insurrections mal connues des années 1848  : les « Journées » de Bogota, le soulèvement de Santiago, la révolution au Rio de la Plata, les émeutes du Nordeste et la rébellion du Péruvien Juan Bustamante qui ne fut pas de la gnognotte  : on le décapita et on supprima par asphyxie soixante-douze de ses partisans d’un seul coup.

Et c’est surtout aussi parce que l’ouvrage nous entraîne dans des expériences communautaires a priori hardies dont on ne savait quasiment rien. Telles que les deux phalanstères du Santa Catarina en 1840, comptant quelques centaines de recrues qui s’entre-déchirèrent, hélas, entre elles. Ou telle que le phalanstère beaucoup plus excitant d’Oliveira dans la péninsule de Sahi qui fut impulsé par une « âme ardente et passionnée », Louise Bachelet. Sur l’air de « Il faut un nouveau monde à des destins nouveaux », notre pétroleuse embrasa tout en effet autour d’elle en tentant très lyriquement d’établir «  l’harmonie entre la luxuriance, la fécondité du Nouveau Monde et le socialisme romantique ». Et l’essai ce coup-ci ne capota pas du tout suite à des querelles intestines. C’est la dureté des indispensables travaux de construction de base qui semble avoir eu raison de l’aventure.

Autre périple assez galvanisant, celui, en 1865, de l’école de Chalco, dans un petit village de l’État de Mexico, qui devint rapidement à la fois une initiation à la vie harmonienne selon Fourier et un centre d’agitation paysanne conviant les péones à piller les haciendas des grands proprios. L’appel à la « République universelle de l’Harmonie » des insurgés pousse les opprimés à créer immédiatement des « sociétés agricoles » libres, autonomes et fraternelles « abolissant tout ce qui rappelle la tyrannie ». Autre excellente surprise  : apprendre que les meneurs de jeu de « l’école-phalanstère du Chalco », Julio Chavez Lopez et Plotino C. Rhodakanaty, furent l’un et l’autre d’exceptionnels détonateurs révolutionnaires du niveau de Makhno et Zapata, ne cessant pas d’organiser ci et là des « sociétés de résistance ouvrière », d’échapper à des embuscades, d’improviser des attaques foudroyantes, de s’évader rocambolesquement de prison.

Après s’être penché ensuite durant quelques chapitres sur des réformateurs originaux (Albert Kimsey Owen, William Lane) ne cherchant, pathétiquement, qu’à rendre la crapulerie capitaliste un peu plus humaine, le professeur Abramson nous raconte par le menu l’utopie passionnante de la Cécilia, ayant déjà eu droit à des livres et à un long métrage pas mal foutu du tout de Jean-Louis Comolli.

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