Cap sur l’utopie

Place aux crimes libérateurs !

Ça manquait cruellement. Grâce à la fascinante cinéphile floratristanesque Nicole Brenez, on peut consulter désormais une authentique histoire du cinéma révolutionnaire. Ça s’appelle Manifestations, ça vient de sortir aux éditions de l’Incidence et ça atteint magnifiquement son objectif : dresser un panorama fortiche des multiples offensives de cinéma activiste ayant été tentées à travers le monde et le temps.

C’est dire que sous le parrainage du théoricien allemand insurgé Theodor Adorno, l’on est amené, tout au long de l’ouvrage, à filer d’épicées purges au capitalisme, au racisme, au nationalisme, au puritanisme, au militarisme, au colonialisme, à l’opportunisme, au machisme et à tous les sinistres ismes de la même farine aux côtés des caméras en colère du Français René Vautier, de l’Américain Robert Kramer, du Japonais Masao Adachi, de l’Argentin Fernando Ezequiel Solanas et de bien d’autres hardis fauteurs de troubles.

En annexe, Nicole Brenez demande à une vingtaine de vilains garnements vrais cinglés de cinéma (dont l’auteur de ces lignes) quel est pour eux le film le plus subversif de l’histoire du 7e Art. Voici telle quelle ma propre réponse : « Le long métrage le plus gloupitamment subversif est Bof… Anatomie d’un livreur », sorti en 1971 et restauré en juin dernier par Tamasa Diffusion. Je m’explique sur mon choix, jambon à cornes !

« Disposant ses pions machiavéliquement sur le terrain de l’ennemi (le cinéma de papa Grangier-Delannoy, le je-m’en-fichisme formel, le rythme traînant des scènes, la répétitivité cagnarde des échanges, la vacuité des personnages, le jeu mécanique des acteurs, les dialogues cotonneux…), Claude Faraldo avec Bof… Anatomie d’un livreur, encore plus qu’avec Themroc, a réussi là un épastrouil lant coup de maître sans esclaves : nous démontrer fulguramment que même dans les pires contextes, les plus ternes, les plus nouilles, les plus crapoteux, les plus gagatiseurs, la jouissance séditieuse sans freins s’avère absolument possible. Sans crier gare, effectivement, les protagonistes du film s’insurgent malotrument contre leur engluement dans la servitude volontaire et passent à la vraie contre-attaque. Ils sabotent leur travail, ils fauchent dans les magasins, ils dynamitent les tabous sexuels, ils se gaudissent des hiérarchies, ils recréent friponnement leur famille, ils zigouillent une rabat-joie et exhortent en fanfare à la mutinerie généralisée. Je ne me rappelle pas avoir vu au cinoche autant d’invitations spitantes aux crimes libérateurs. Sinon dans le génial court-métrage d’agit-prop L’École est finie (Crève salope) (1975) du ravacholesque anti-éducastreur Jules Celma. »

Noël Godin
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