Polluer propre

Il est vert, mon pétrole

Pas facile de faire rêver le lecteur-vacancier du Monde, au cœur d’un été aussi meurtrier que celui dont nous sortons. Le défi pourtant ne fait pas peur à Pierre Le Hir, journaliste scientifique au « grand quotidien du soir » et soutien sans faille du PPA (le Parti… du Progrès et de l’Atome  !).

Le 29 juillet dernier, dans la série « Ils refont le monde », Le Hir fait une hagiographie de Marc Delcourt, dirigeant et fondateur de la société Global Bioenergies. Chercheur en biochimie formé à Normale Sup, devenu entrepreneur au Québec, Delcourt s’est mis en tête de « produire des hydrocarbures autrement »  : « Ses matières premières sont les déchets de l’industrie sucrière (mélasse de betterave et bagasse de canne), l’amidon du blé et du maïs, ou encore la cellulose des résidus agricoles et forestiers. Tout l’art consiste à les faire digérer par des bactéries au génome reprogrammé, pour les convertir en une famille de gaz tirés du pétrole  : isobutène, propylène, butadiène… Avec eux, on peut ensuite faire du plastique, du caoutchouc, du verre organique, du vernis, de la mousse, mais aussi du carburant. à la clé, un marché chiffré en centaines de milliards d’euros. » Voilà un exemple de ce qui se mitonne actuellement sous l’étiquette fourre-tout de biologie de synthèse  : accélérer à coups de bricolages génétiques des processus biochimiques qui prennent des millénaires pour les adapter au rythme effréné de notre économie – adapter la vie aux exigences de l’industrie1.

Par Charlotte Planche.

Delcourt est photographié en prestidigitateur dans son labo, et successivement présenté comme un « étudiant attardé », un écolo « qui pense à la planète », un « héros » suffisamment fou pour encore «  croire, seul ou presque, au génie français », ou encore enfin, un capitaliste qui ne cherche pas à faire fortune, exclusivement soucieux de générer de « l’argent utile » pour soutenir « le système de l’entrepreneuriat ».

Pas besoin de respirer les gaz qui, espérons-le, ne sortiront jamais de ses cuves à chewing-gum2, pour avoir envie de vomir  : le voici devant nous, le fameux capitalisme vert. Pour sauver la planète et préserver notre « village mondial » de la barbarie, point besoin d’un changement profond de société, de mouvements populaires qui redéfiniraient nos besoins, fermeraient les usines polluantes et les laboratoires inutiles, (r)établiraient des usages collectifs et égalitaires de la terre, de l’eau, des bâtiments. Non, monsieur Delcourt est là pour nous éviter l’épuisement des réserves de pétrole, réduire nos émissions de CO2 et même nous conseiller de «  mettre fin au gaspillage alimentaire et terminer la réforme agraire ». Euh, il y a une réforme agraire en cours en France ? Peut-être la redistribution des terres opérée depuis 60 ans par l’Europe et la FNSEA au profit des grands céréaliers ?

Quand on pense « capital », on parle toujours d’abord de la finance, des banques, etc. Pourtant depuis 200 ans, c’est ce genre de Géo Trouvetout qui est au principe de l’accumulation capitaliste  : un entrepreneur est un ingénieur (ou un chercheur) qui contracte « le virus de l’industrie » (dixit Le Hir) et parvient à lever les fonds nécessaires à la mise en œuvre d’une innovation. Cette innovation qui génère le profit des actionnaires et fait trimer (plus intensément ou plus subtilement) les salariés3.


1 A noter que Delcourt est un proche de Philippe Marlière, le promoteur en chef de la biologie de synthèse en France. On peut consulter les textes du groupe Pièces et Main d’œuvre sur le sujet.

2 Dans Les Aventures de Rabbi Jacob, Louis de Funès tombe malencontreusement dans une cuve de la sorte.

3 Sur l’importance des ingénieurs dans la naissance d’un tissu d’entreprises industrielles au XIXe siècle en Europe, on peut consulter l’ouvrage universitaire La Dynamique de l’innovation, de François Caron (Gallimard, 2010). Sur la prétention ancienne et dérisoire des entreprises et de leurs ingénieurs à apporter les solutions aux problèmes qu’ils engendrent, on peut (re)lire le texte de Pierre Samuel, « Pollution et anti-pollution », dans la magistrale anthologie de Survivre et vivre publiée par Céline Pessis aux éditions L’échappée en 2014.

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