Cap sur l’utopie
John Holloway : « Détruisez le règne de l’argent ! Communisez ! »
Catastrophe pour le vieux monde ignoble : le Holloway nouveau est arrivé. Il s’intitule éloquemment La Rage contre le règne de l’argent et est traduit en français balèzement par les éditions Libertalia comme les deux géniaux brûlots précédents de l’agitateur irlandais, Crack Capitalism, 33 thèses contre le capital et Lire la première phrase du Capital qui conviaient eux aussi à la création d’une « nouvelle grammaire » de la révolte épicée.
Brandissant l’appel à la révolution immédiate d’Étienne de La Boétie en 1574 (« Soyez résolus de ne servir plus et vous serez libres aussitôt »), John Holloway met en avant que si c’est nous qui faisons le capitalisme par notre lâche soumission à sa logique, nous pouvons tout aussi bien le défaire. Nous ne voulons plus du capitalisme ? Cessons tout de suite de le fabriquer. Comment ? En envoyant aux pelotes les vieilles stratégies de luttes avec lesquelles on part toujours perdant puisque, par exemple, un militant ne fait qu’attendre cafardeusement le Grand Soir dans un parti hiérarchisé « reproduisant lui-même ce qu’on veut détruire » (l’esprit de discipline, l’abnégation, l’adoption d’ » agendas fixés par le capital »).
Finis les sacrifices et les papillons noirs ! s’écrie Holloway. C’est sur-le-champ qu’on peut niquer le capitalisme, l’autorité, le travail, l’argent, « le temps de l’horloge » en leur disant : « Non ! » Chaque fois qu’on leur désobéit, qu’on retrouve un peu du pouvoir créatif enfoui au fin fond de nous, qu’on agit comme ça nous chante, qu’on construit des espaces ou des moments de rébellion éclair, qu’on prend soi-même l’initiative advienne que pourra, on fracture un tout petit peu ou beaucoup plus que ça, crac crac, les structures mêmes de la domination. C’est qu’ » à mesure que nous faisons les choses d’une manière différente, contre et au-delà du travail, nous commençons à voir que le capitalisme est plein de brèches ». Des brèches, presque invisibles parfois, qui constituent la vraie « crise du système » et qu’il convient d’élargir, de multiplier, de rendre mobiles, de faire entrer en résonance et en confluence pour qu’elles nous entraînent vers un « possible changement radical », vers un « monde de nombreux mondes », comme disent les zapatistes. Les zapatistes dans un des bastions desquels, à l’université autonome de Puebla, au Mexique, John Holloway enseigne depuis 1991 l’histoire de l’insoumission.
Tout ceci n’est bien sûr que le pitch d’un trio de manifestes contre la résignation d’une prodigieuse richesse libératrice constellés d’exemples roboratifs d’occupations sauvages, de réinventions surprises, de sabotages corsés, d’expérimentations hardies, de mutineries contagieuses, de détournements inattendus, d’anti-spectacles transgressifs, d’insolences jouissives, d’ouvertures galvanisantes sur l’ailleurs.
« Le monde que nous voulons créer brise la séparation instrumentale entre la fin et les moyens : les moyens sont la fin. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°182 (décembre 2019)
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Paru dans CQFD n°182 (décembre 2019)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 22.01.2020
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Dans CQFD n°182 (décembre 2019)
Derniers articles de Noël Godin
29 janvier 2020, 09:39
J’entends bien que nous sommes les artisans du capitalisme, les petites mains qui lui fournissent les moyens de notre asservissement.
Mais
Mais comment se départir de ce système qui a fait main-basse sur toute l’économie, l’État, l’autorité judiciaire, les médias ; en un mot comment se départir de ce totalitarisme de fait ?
Car enfin j’ai un besoin vital de la monnaie qu’il m’octroie. Celle-ci ne vient QUE de mon travail que nos dominants veulent bien me laisser obtenir dans un emploi. Ceci en échange de ma docilité à fabriquer le profit dont ils se gavent. Les failles du système ne sont que des niches précaires : des coopératives, des solidarités à la merci d’un contrôle administratif, d’un décret ou autre arrêté préfectoral (illégal ou non). Je n’échappe pas au territoire judiciaro-policier.
La collusion totale entre les institutions étatiques et le capitalisme rend toute initiative pérenne une bataille perdue et sans fin entre un puissant et un ou quelques faibles. La destruction (plus finement jouée : l’inhibition) de tous les contre-pouvoirs de même.
Dit autrement, il n’est pas possible de changer ce système sans devoir le détruire avec fracas, douleurs violences et (l’histoire le montre) des massacres. Ses capacités de défense et de répression s’améliorent avec le temps, en parallèle avec son illégitimité croissante (vues les dévastations sociales et de la nature), inversement proportionnelle à sa qualité argumentaire.
Je ne vois que deux actions possibles (non exclusives) : fabriquer de la solidarité locale (sans préjuger des moyens) laquelle aidera le moment venu à résister-construire une société viable (démocratique ..), s’autonomiser, au sens développer des capacités de survie (individuellement ET solidairement) pour espérer survivre aux désordres inexorables de l’effondrement du capitalisme i.e. du système économique actuel. En gros se préparer (commencer discrètement) à résister, à faire de la Résistance. Donc à la fois se faire discret et apprendre à déjouer les outils de la répression tout en se maintenant en vie.
Avec en tête le fait que depuis longtemps, l’humain a compris que les morts ne dérangent plus personne.