Creusement des inégalités dans l’Éducation nationale
Blanquer, premier de la casse
S’il a beaucoup glosé sur le voile, Jean-Michel Blanquer s’est montré moins prolixe pour commenter cette mesure du budget 2020 de l’Éducation nationale : la coupe de moitié des fonds sociaux des collèges et lycées. Destinés aux élèves en grande précarité, ces fonds permettent de débloquer de l’argent pour leur payer des fournitures scolaires, participer aux frais d’un voyage de classe, mais aussi parfois acheter des vêtements, fournir des soins médicaux ou un hébergement d’urgence. Pour un établissement en éducation prioritaire, cela représente quelques milliers d’euros, qu’un texte de 1998 autorise à dépenser de manière souple.
Déjà considérablement dévalué de 2002 à 2012, le budget des fonds sociaux passerait de 59 millions d’euros en 2019 à 30 millions en 2020. Une baisse justifiée par le ministère au prétexte que ces fonds seraient sous-utilisés. En réalité, aucune politique volontariste n’est mise en œuvre pour inciter les établissements à y puiser. Dans nombre d’établissements, les personnels ignorent même leur existence.
Pourtant, les besoins ne manquent pas, comme l’a rappelé Jean-Paul Delahaye, auteur en mai 2015 du rapport Grande pauvreté et réussite scolaire, qui évaluait à 1,2 million le nombre d’enfants concernés. Sous-titré « Le choix de la solidarité pour la réussite de tous », ce rapport semble depuis être passé aux oubliettes.
Autre mauvais coup contre les familles paupérisées : la politique de numérisation des services publics. Ainsi, les demandes de bourses scolaires dans le secondaire (aides financières de 456 € par an au maximum au collège), attribuées sous conditions de revenus, doivent à présent se faire par Internet. Ce qui suppose une première connexion à un site, la validation par un mail qui n’arrive parfois jamais, un changement d’identifiant, un scan de pièces justificatives en cas de modifications... Dans des départements comme la Seine-Saint-Denis (93) où la fracture numérique est importante, la démarche peut relever du parcours du combattant.
Et là encore, l’institution ne met rien en place pour faciliter l’accès des familles à leurs droits sociaux – vitaux pour nombre d’entre elles. C’est aux équipes éducatives et aux représentant·es des parents d’élèves de se mobiliser pour les relancer en cas de non-demande, ou encore d’organiser des permanences administratives pour permettre à celles qui n’en disposent pas d’accéder à un équipement informatique.
Cette politique discriminatoire à l’égard des familles les plus fragiles ne s’arrête pas là. Avec la sortie le 5 novembre du rapport Azéma-Mathiot commandité par Blanquer, la casse de l’éducation prioritaire, bien entamée pendant le quinquennat Hollande, franchit un nouveau cap. Ce rapport préconise la fin des Rep (réseaux d’éducation prioritaire) dès 2020 et une nouvelle carte des Rep+ (réseaux d’éducation prioritaire renforcée) en 2022.
Une politique justifiée par la redistribution des moyens des zones urbaines vers les zones rurales, moins bien dotées. Sauf qu’enlever quelque part pour donner ailleurs ne résoudra rien, et que de toute façon les dés sont déjà pipés : si les critères d’appartenance à l’éducation prioritaire étaient nationaux, presque tous les établissements du 93 y seraient.
Et pour celles et ceux qui rêvent d’ascenseur social, les réformes successives de l’orientation dans le supérieur (Parcoursup) et celle des lycées se sont chargées de leur sceller les pieds dans le béton. Au premier tour des affectations dans le supérieur en 2018, près d’un·e lycéen·ne sur deux avec l’étiquette 9-3 collée sur le front est resté.e sans réponse ; les établissements n’ont désormais plus obligation de publier leurs critères de sélection... Les écoles privées se sont jetées sur cette aubaine, en proposant aux recalé·es d’intégrer leurs cursus au prix fort. D’autres vautours proposent des services payants pour aider les lycéen·nes à préparer leur dossier pour Parcoursup, en leur faisant miroiter une plus grande chance d’être reçu·es.
On voit ainsi se dégager de plus en plus clairement les conséquences de la politique néolibérale de casse de l’éducation, déjà à l’œuvre dans d’autres pays européens. Aux pauvres, une école publique dégradée et un accès entravé à l’enseignement supérieur – sauf à rester dans leurs quartiers, où les filières disponibles sont limitées. Quelques-un·es pourront s’en sortir au compte-gouttes pour valider le mythe de la méritocratie et alimenter le storytelling grâce auquel les premiers de cordée justifient leur position. Pendant ce temps-là, les classes moyennes et aisées qui maîtrisent les stratégies scolaires auront accès aux diplômes qui permettent reproduction sociale et maintien de l’entre-soi.
Comme par hasard, le rapport Azéma-Mathiot propose de « développer une politique d’association de l’enseignement privé sous contrat aux politiques de mixité et de cohésion territoriale ». Les bons amis de Blanquer, comme Espérance Banlieues, réseau d’écoles privées hors contrat installées dans les quartiers populaires et promouvant des valeurs fort conservatrices (lever de drapeau et Marseillaise tous les matins), mais beaucoup plus laxistes sur leur gestion financière1, se frottent déjà les mains.
1 Lire « Espérance Banlieues : la belle histoire se fissure », Mediapart (28/07/2019).
Cet article a été publié dans
CQFD n°182 (décembre 2019)
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Paru dans CQFD n°182 (décembre 2019)
Par
Illustré par Elzazimut
Mis en ligne le 16.01.2020
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