Squatte ton CHU

Quand l’hôpital se moque de la charité

Depuis deux ans à Toulouse, les membres du collectif Lascrosses occupent avec près de 80 personnes un pavillon désaffecté de l’hôpital Purpan. Pour les faire expulser, la direction de l’établissement en a appelé à la justice. En vain pour l’instant.

Il est 19 h, l’hôpital Purpan se vide. Visites et consultations sont terminées. Mais au cœur du CHU (Centre hospitalier universaire), une poignée de gamins se vautrent en skate ou tapent dans un ballon de foot.

Depuis septembre 2016, le collectif Lascrosses1 y occupe le pavillon Armengaud. Linge pendu aux fenêtres, rires qui s’échappent des cuisines communes. Environ 80 précaires – dont 25 enfants scolarisés alentour – originaires d’Albanie, de Bulgarie, de Syrie et du Maghreb ont redonné vie à ce bâtiment désaffecté.

Tri sélectif

Tous témoignent d’humiliations, de souffrances mais aussi de leur détermination. « Auparavant, nous avons occupé puis été expulsés de logements boulevard Lascrosses – d’où le nom du collectif – puis d’un bâtiment de l’Office public de l’habitat de Toulouse » raconte Bachir, 45 ans. À cause de la récession économique, ce Marocain a quitté l’Espagne pour la Ville rose. « Ici, j’arrive à aligner des petits contrats mais le parc social et les centres d’hébergement d’urgence sont complètement saturés  », souligne-t-il. C’est que la métropole toulousaine est en proie à une croissance urbaine incontrôlée, qui produit une violente exclusion sociale2

De surcroît, Mediapart révélait en mars dernier les pratiques discriminatoires de l’Office public de l’habitat : «  Attention, monsieur est ivoirien », « Refuser les Tsiganes », « famille religieusement très marquée  », pouvait-on lire dans des échanges de mails ou des demandes de logement retoquées3.

Le pavillon Armengaud était considéré par le CHU comme « inadaptable aux nouvelles normes d’accessibilité ». Mais « les installations d’électricité et d’eau étaient quasi neuves  » raconte Mirentxu, du collectif Lascrosses. Hélas, au bout d’à peine un mois d’occupation, la direction de l’hôpital lançait une procédure d’évacuation d’urgence devant le tribunal. « Dans la foulée, une dizaine de bâtiments désaffectés au sein du CHU ont été murés afin d’empêcher toute autre occupation  », s’indigne Divyanka, une mère de famille bulgare.

Direction acculée

À l’heure des injonctions néolibérales, les dirigeants hospitaliers, qui rechignent déjà à prendre en compte la dégradation des conditions de travail des soignants, perçoivent l’occupation d’un de leur pavillon comme une intrusion insoutenable. « À Purpan, la direction a d’ailleurs toujours refusé de nous recevoir  » précise Mirentxu, amère. La juge du tribunal administratif, elle, a estimé que l’occupation d’Armengaud ne générait « aucun trouble au fonctionnement de l’hôpital en général » – comme l’avait mentionné en soutien les syndicats CGT et Solidaires.

Tenace, la direction du CHU en a appelé au Conseil d’État. Mais là encore, en juillet 2017, la plus haute des juridictions administratives a débouté l’hôpital Purpan, arguant que le caractère d’urgence de l’évacuation n’était pas justifié.

Une nouvelle menace plane cependant sur le squat. « Le CHU est en train de privatiser ses biens, s’alarme Martine, une militante de la CGT. Il vient de confier à la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH Group) l’aménagement de six autres bâtiments désaffectés sous la forme d’un contrat de concession pendant une durée de cinquante ans. » Si le pavillon d’Armengaud n’est pas concerné par ce douteux partenariat public-privé, ce projet de réhabilitation pourrait bien relancer les procédures d’évacuation.


1 Ce collectif est membre de la Crea (Campagne de réquisition pour l’entraide et l’autogestion), un réseau de squats à Toulouse qui existe depuis sept ans.

2 Lire « Rouleau compresseur gentrificateur – Main basse sur la ville (rose) », CQFD n°170, novembre 2018.

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