Législation anti-pauvres

Loi Élan : droit dans le mur...

Adoptée définitivement le 18 octobre, la loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique était déjà bien connue pour ses atteintes à la protection du littoral et au logement des personnes handicapées. Il nous restait à apprécier ses mesures anti-squatteurs et hostiles aux « derniers de cordée » en général...
Photo Lise Lacombe

Les sénateurs (LR) n’y étaient pas allés de main morte en première lecture du projet de loi Élan, fin juillet. Mohamed Ragoubi, vice-président de l’association Appuii1 et responsable du Dal-HLM (Droit au logement), se souvient surtout de la façon dont ils avaient amendé l’article 58 ter. « Ils voulaient criminaliser tous les occupants sans titre, du squatteur au sous-locataire hébergé dans l’urgence et non déclaré : un an de prison et 15 000 d’amende après une expulsion express. » Voulaient ? On touche ici à une autre joyeuseté du texte. Fin septembre, les arrangements de dernière minute ont été décidés dans le secret d’une commission mixte paritaire pour éviter une deuxième lecture (publique) du projet législatif devant l’Assemblée nationale. « On a fait un travail de suivi autour de la loi pendant sept mois et on a beaucoup mobilisé dans toutes les villes, y compris en allant interpeller directement les élus », précise Mohamed Ragoubi.

Jeter plus facilement les gens à la rue

Résultat : dans un communiqué, les sénateurs admettent qu’ils ont dû en rabattre tout en plastronnant sans vergogne. Nous avons « favorisé la lutte contre les squats en supprimant la possibilité pour les squatteurs d’un domicile de bénéficier d’une part, du délai de deux mois entre le commandement de quitter les lieux et la mise en œuvre effective de l’expulsion et d’autre part, de la trêve hivernale »2. Sérieusement, ces bourgeois cacochymes se réjouissent de pouvoir jeter plus facilement des gens à la rue ? «  Et ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan glacé de leur égoïsme, poursuit Mohamed Ragoubi. Bail ultra-précaire d’une durée d’un à dix mois rebaptisé “ mobilité ” dans la novlangue macronienne, résiliation du bail de plein droit quand l’un des habitants d’un logement a été condamné pour usage ou trafic de stupéfiant, rétablissement de pénalités arbitraires en cas de retard de loyer. » Seule cette dernière disposition n’a pas été reprise dans la version finale d’un texte qui ressemble fort à une déclaration de guerre à l’encontre des locataires les plus précaires.

Camille3, participant à un collectif d’info sur la loi Élan et les squats à Marseille, envisage les dégâts à venir. « Même sans criminalisation des pratiques, la loi va rendre plus vulnérables toutes les tentatives d’occupation ; une vulnérabilité qui pèsera encore plus fort sur les plus fragiles d’entre elles, notamment celles avec les sans-papiers. » Son constat sur la situation à Marseille ne réchauffe guère l’ambiance : « Plus aucun squat politique sur la ville et des squats d’habitation de plus en plus rares.  »

Rare concession dans cette litanie d’avanies : l’aggravation des peines encourues par les marchands de sommeil. « C’est bien sûr une bonne chose mais, avec la possibilité accordée aux bailleurs sociaux de vendre un tiers de leur patrimoine, ils peuvent même connaître une nouvelle prospérité, commence à expliquer Mohamed Ragoubi. L’expérience, comme dans le quartier du Petit Bard à Montpellier, nous a appris que les organismes HLM se séparent en priorité des logements les plus vétustes ; promptement rachetés par des investisseurs peu scrupuleux, ces appartements repartent dans un circuit locatif souterrain. » Et de conclure : « Pour véritablement en finir avec l’habitat indigne, il manque un million de logements sociaux. »


1 Appuii comme « Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international ». Voir l’article qui lui est consacré dans le dossier « Logement » dans notre n° 162 de février 2018.

2 Communiqué du 20 septembre 2018.

3 Le prénom a été changé.

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