On n’autogère pas les chaînes de montage, on les casse !

La collection « Les précurseurs de la décroissance » du Passager clandestin nous a encanaillés il y a peu avec quelques penseurs frondeurs du XXe siècle en quête de nouveaux horizons.

Le Theodore Roszak de Mohammed Taleb nous rappelle que l’auteur du mythique Vers une contre-culture avait proclamé dans les seventies que «  la modernité technicienne » nous conduisait tout droit à la « machinisation de l’esprit ». Et qu’il y avait dès lors lieu d’expérimenter incontinent de nouveaux types d’existence et d’opter festivement pour une sorte d’« écopsychologie libératrice ».

Le Murray Bookchin de Vincent Gerber et Floréal Romero va à toute vibure dans le même sens. À l’immonde « société de marché », il oppose le « municipalisme libertaire », soit la gestion joyeuse des affaires publiques par le peuple en syntonie avec la nature. Bookchin « a ainsi imaginé un monde complet et cohérent de sociétés à taille humaine, décentralisées, composées de communautés politiquement autonomes et regroupées en fédérations » kropotkinesques, seule manière, d’après lui, de mettre fin à « la mégamachine qui étouffe ». Une stratégie chahutée par des tapées d’ex-partisans anars de l’agitateur voyant dans ce processus de transformation sociale graduel et un peu pot-au-feu un danger d’institutionnalisation de la démocratie directe.

Le Cornelius Castoriadis de Serge Latouche souligne que le philosophe mutin adhère aussi pas mal au projet de « communauté radicale et locale » machiné par Bookchin – « une municipalité de petites municipalités, chacune desquelles serait formée par une commune de communes plus petites en parfaite harmonie avec leur écosystème ». Mais qu’il reste malgré tout perplexe car, pour lui, on ne se méfiera jamais assez des essais d’autogestion à l’intérieur même de l’establishment. « L’autogestion d’une chaîne de montage par les ouvriers de la chaîne est une sinistre plaisanterie. Pour qu’il y ait autogestion, il faut casser la chaîne. » Castoriadis est de ceux qui estiment que ce n’est pas du tout son rôle mais bien celui des assemblées révolutionnaires de définir ce que pourrait être le nouveau monde, mais il lui est arrivé, au détour d’un entretien, de rêver à la vie future  : « En vrac, un nouvel ami plutôt qu’une nouvelle voiture, la Terre comme jardin anglais, la France comme campagne et non plus comme plaine arasée et empoisonnée de la production maximum, le participable plutôt que l’appropriable. »

Le Lewis Mumford enfin, de Thierry Paquot, qu’escortent, sous la houlette des éditions La Lenteur et La Roue, et sous le titre Art et technique, six conférences mumfordesques d’une très balèze lucidité critique. Attention, notre sociologue visionnaire n’est pas la réincarnation d’Élisée Reclus, il n’appelle pas scientifiquement à l’expropriation des expropriateurs. Mais c’est tout de même à un « renversement des valeurs, un nouveau cadre philosophique, un nouveau mode de vie » qu’il invite sans vergogne.

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