Documentaire
ZAD : Le plus grand champ d’expérimentation sociale de France
Le film1 de Vincent Lapize possède une grande qualité : montrer les changements humains dans la lutte, celle qui oppose Vinci et son partenaire docile, l’État, aux valeureux opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL). En filmant pendant deux ans les protagonistes dressés contre l’aéroport voulu par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, il regarde avec tendresse les relations entre squatteurs et habitants du cru. Dans un champ, deux retraités ramassent des chénopodes bon-henri, une variété d’épinards sauvages : « C’est les squatteurs qui nous ont appris tout ça. » Les squatteurs ? Ces nouveaux venus sur la ZAD (Zone à défendre), vus comme autant de sympathiques marginaux : « Ils ne veulent pas travailler, ils ne veulent pas de patrons. »
Les échanges dans le bocage vont bon train : fumier contre travaux de jardinage, éleveurs « tueurs » discutant avec vegans « horribles » ; un commercial ne peut plus remettre son costume le lundi matin, des jeunes découvrent l’entraide. Tout un monde retrouve les valeurs du collectif, du travail commun. Cela donne de magnifiques cabanes, des habitats dans les arbres à faire rêver les gosses, des chemins sans voitures qui serpentent dans le bocage. Du silence et du temps, loin des machines et des villes.
Une vieille femme qui fume sur un bord de route préfère la morsure du froid sur la barricade que d’être enfermée chez elle entre quatre murs. Des plus jeunes sont venus s’endurcir. Combien sont venus chercher une parcelle d’humanité à NDDL ? Un sens à leur vie. Les paysans avouent qu’ils ont osé bloquer les ponts sur La Loire parce que les zadistes leur avaient montré les chicanes sur les routes où serpente la caméra.
Puis en 2013, tout change et recommence avec l’opération d’expulsion nommée César. La violence des destructions provoque le soulèvement de centaines de comités de soutien à travers l’Europe. Les Gaulois sont de retour. 40 000 personnes reconstruisent ce que les bulldozers et la gendarmerie ont écrasé. Vincent Lapize ne force pas le trait sur le déroulement des opérations. Il raconte avec sobriété l’histoire des gens. « J’ai changé de cadre », avoue un ancien entrepreneur. Et le cadre a été bouleversé aussi ; la boulangerie devient mobile, la guerre contre l’État se transforme tantôt en une guerre de mouvement tantôt de position. Les squatteurs se métamorphosent en tacticiens. L’horizontalité règne en maître, le faire ensemble explose, l’union fait la force simplement. La lutte contre l’aéroport et son monde est surtout la lutte contre son monde. Vincent Lapize a tourné durant deux ans et vécu une année sur cette terre libérée. Il a participé à des constructions. « Il y a un conflit systémique entre collectifs, reconnaît-il, mais mon propos était de montrer les raisons d’agir des opposants, ce que ça a déclenché dans la tête des gens. » La ZAD est un formidable creuset de discussions. « C’est aussi un réceptacle d’un courant plus global. »
Vincent Lapize a conçu son film en s’inspirant d’un scénario basé sur l’ouvrage Utopia de Thomas More, un des pères de l’humanisme anglais : « Un monde avec des règles qui changent, un mouvement d’espoir face à la résignation. » C’est lors d’un covoiturage que le réalisateur a été invité à NDDL. Il y est resté une semaine et y a rencontré des opposants qui lui ont fait confiance pour ce film. D’autres ont refusé l’image. L’un d’eux, à l’accent espagnol, pense sans acrimonie qu’ils vont perdre cette lutte. « L’espoir n’est pas de la gagner, mais de la vivre », confirme Vincent.
Il y a deux ans, les éditions L’insomniaque éditaient ZAD partout, recueil de textes collectifs2. Parmi les nombreuses proclamations d’habitants de NDDL, l’une d’elles notait l’angoisse climatique. C’est contre l’aménagement capitaliste du territoire que la lutte a fédéré. Des No Tav italiens à ceux qui refusent les ouvertures de mines de charbon en Rhénanie, les industriels et les développeurs trouvent sur leur chemin des chicanes humaines. En cette année 2015, un appel à converger vers Paris pour la COP 21 a été lancé depuis toutes les zones à défendre. En outre les photographies de ZAD Partout montrent la créativité sans limites des auto-constructeurs : pour preuve la chicane Tour de guet dite Bison Futé, qui fait penser aux éléphants désirants de Dali ou encore la tranchée sur la route des Fosses noires. A-t-on vu une telle énergie et tant de créativité dans la défense d’une terre ? Certes, il y eut la boue, mais de cette glaise est née la plus courageuse des résistances. Christophe Goby 1. ZAD partout, l’Insomniaque, Paris, 2013.
Le dernier continent. Film de Vincent Lapize. Long métrage documentaire, sorti le 11 novembre 2015, 1 h 17.
1 Le dernier continent. Film de Vincent Lapize. Long métrage documentaire, sorti le 11 novembre 2015, 1 h 17.
2 ZAD partout, l’Insomniaque, Paris, 2013.
Cet article a été publié dans
CQFD n°137 (novembre 2015)
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Paru dans CQFD n°137 (novembre 2015)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 20.04.2018
Dans CQFD n°137 (novembre 2015)
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