Au cinéma ce mois-ci

Le rire d’une guerrière

Le documentaire Warrior Women raconte la vie de Madonna Thunder Hawk, activiste de la cause indienne aux États-Unis. À la confluence de l’émancipation des femmes et de la défense de la Terre comme des peuples autochtones, son combat prend aujourd’hui plus que jamais une dimension universelle.
Madonna Thunder Hawk et Marcella Gilbert / Photo D.R.

C’est un mec qui le dit : « Selon le dicton lakota, “Si tu veux de belles paroles, invite les hommes, mais si tu veux des actes, invite les femmes.” » Madonna s’esclaffe et s’empare du micro, histoire de montrer qu’elle sait aussi parler : « Il faut défendre la terre. Parce qu’une fois que nous l’aurons perdue, nous ne serons plus qu’une bande de miséreux. » La sentence, dans la bouche d’une Sioux du XXIe siècle, frappe deux fois dans l’air de la réserve de Cheyenne River : pour les peuples originaires et pour la planète.

Née en 1940, Madonna Gilbert, dite Thunder Hawk (« faucon-tonnerre »), aurait dû disparaître pour faire place à la modernité. Enlevée à ses parents comme tous les enfants indiens de l’après-guerre, elle fut placée en pensionnat pour être « civilisée ». La déportation des siens pour permettre la construction d’un barrage hydraulique aurait dû sceller cet anéantissement. Il n’en a rien été. La colère a été plus forte.

Membre fondatrice de l’American Indian Movement (AIM), elle a participé aux soubresauts de la deuxième moitié du XXe siècle. Jusqu’à nos jours. À San Francisco, elle se mêle à l’effervescence contestataire, contacte les Black Panthers, puis participe à la longue occupation (1969-71) de l’île d’Alcatraz par les nations indiennes en rébellion.

Vient ensuite la confrontation du Red Power avec l’État fédéral sur le site emblématique de Wounded Knee (lieu du dernier massacre des « guerres indiennes », en 1890). « Ce pays s’est construit sur les ossements de nos ancêtres. » Cette fois-là, en 1973, après plusieurs nuits d’affrontement armé, on relève deux morts côté indien.

Mais Warrior Women ne succombe pas à la tentation de l’héroïsme morbide. On parle ici de transmission et de semences. En particulier à travers la relation entre Madonna et sa fille, Marcy, qui s’attache aujourd’hui à récupérer les savoirs et les pratiques autour de l’alimentation traditionnelle. « L’oignon sauvage était gratuit, comme nous : libres et sauvages  ! » Marcy, sa mère, sa tante et une cousine, réunies devant la caméra, se marrent, une main pudique devant la bouche.

Des images d’archives montrent les survival schools, créées dans les années 1970 pour contrer le génocide culturel. « Si quelqu’un me dit que George Washington est le père de la nation, je le baffe », lance avec humour une jeune Madonna à Ray-Ban et veste en jean à une assistance d’enfants chevelus. Le drapeau américain flotte à l’envers, les étoiles en berne. Le gars qui filme demande : « Cette école ne va pas être un frein à l’intégration  ? » – « Oui, c’est la condition de notre survie. » Et plus loin : « La liberté, le mode de vie indien, ce sont de jolis mots, mais si on n’en fait rien, ça ne vaut rien. Je dois affronter la société pour être moi-même. »

Telle mère, telle fille

Marcy a emboîté les pas de sa mère. De la lutte victorieuse des Women of All Red Nations dans les Black Hills contre la mine d’uranium d’Union Carbide, qui provoquait des fausses couches dans la réserve voisine, jusqu’à l’intervention à Genève pour la reconnaissance des droits indigènes par les Nations unies alors qu’elle a tout juste 17 ans. Mère et fille ont aussi participé à la mobilisation de la réserve de Standing Rock, dans le Dakota du Sud, contre l’implantation d’un oléoduc. La victoire, ici, est de courte durée : une décision de justice favorable aux opposants est balayée par un décret de Trump dès son arrivée au pouvoir.

À travers les souvenirs de jeunesse, les plaisanteries et quelques larmes, la dureté des expériences vécues transparaît. Comme ces viols perpétrés impunément par des gardiens de bétail contre de jeunes filles indiennes. Les deux sœurs se souviennent d’un acte d’autodéfense, quand un violeur se fit piéger, puis tabasser par leur groupe d’amies.

Les réalisatrices, amérindiennes, revendiquent un récit circulaire, en accord avec l’oralité des anciens – et loin du folklore mettant en exergue la figure du mâle guerrier. « Où est votre chef  ? », demandait d’entrée l’envahisseur. Ici, on privilégie la parole collective, l’esprit des tribus, des bandes et des familles élargies. « Mon blablabla, mon “passé glorieux”, bullshit !, balance Madonna sur un ton léger, mais avec fermeté. C’est dur d’être suivie par une caméra alors que j’ai passé ma vie à les éviter, pour ne pas perdre le lien avec ma communauté. » L’urgence du message à transmettre l’a persuadée de relever le défi. En observant les gestes de Marcy qui aide sa propre fille, danseuse, à se vêtir, la vieille militante sourit : « Ça, je ne savais pas faire… Sa génération a gagné le droit à la tendresse. C’est une bonne chose. »

Bruno Le Dantec

Warrior Women, de Christina D. King & Elizabeth A. Castle, 67 minutes, est en salles depuis le 16 octobre.

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