Cap sur l’utopie

En avant les nouveaux enfants du tonnerre !

Cheville ouvrière notamment du fameux Dictionnaire des Utopies (Larousse), Michèle Riot-Sarcey n’a jamais cessé de bourlinguer à travers le XIXe siècle à la recherche de « voix dissonantes, d’expériences singulières, de traces d’utopies effacées » qui pourraient nous aider à imaginer aujourd’hui des voies alternatives. Dans l’ouvrage collectif Genre et utopie (Presses universitaires de Vincennes), notre exploratrice est elle-même explorée par une chiée de maîtres de conférence et de « professeurs de chaire supérieure » (sic !) sans que le livre soit pour autant à envoyer aux pelotes. Car ce grand cours d’histoire d’une historienne, bien souvent fastidieux, fourmille de petits cours d’Histoire foutrement stimulants.

C’est ainsi qu’Éric Aunoble, à qui nous devons le formidable Le Communisme tout de suite ! (éd. Les nuits rouges), décrit âprement le sort dégueulbif réservé aux partisanes communistes (volontiers traitées de « youpines-bolcheviques ») pendant la guerre civile 1918-1919 en Ukraine. C’est ainsi que l’historiographe de la Commune Jacques Rougerie y livre des documents précieux sur le « gouvernement direct du peuple par lui-même ». Et c’est ainsi que le meilleur connaisseur de Charles Fourier, René Schérer, dénonce férocement l’éducation civilisée « devant laver les cervelles enfantines de gré ou de force » à laquelle il oppose le travail-jeu harmonien à tous les postes de commande. Contre les diktats de la famille et de l’école, contre le règne des parents et des instits, Fourier et Schérer exaltent l’esprit de bande des petits garnements qui deviennent souvent les « vrais maîtres d’enthousiasme » des gosses dégourdis. Et en route vers l’avènement d’un « peuple enfant » espiègle et audacieux aimanté par le goût du travail attrayant et passionné qui serait le nœud du nouveau mouvement sociétaire un peu dans l’esprit des « Enfants du Tonnerre », ce bataillon de petits pétroleurs de la Commune de 1871, adeptes de défilés rebelles « en forme de tourbillon, de fourmilière, de serpentage ou encore d’orage ».

Agacé par les pragmatistes cyniques pour qui une utopie, c’est automatiquement un échec virtuel, le philosophe réfractaire Jacques Bouveresse eut cette réplique : « Les faits, dit-on, sont têtus. Mais, en un certain sens, les idéaux et les fins ne le sont pas moins. » Autrement dit, au diable les bousilleurs d’utopies ! C’est dans cette perspective gloupitante, qui ouvre son tir, que la fort savante revue Tacet (éd. Presses du réel) consacre en bonne et ardue forme un numéro copieux aux Sonorités de l’utopie dans le but de saisir comment elle peut être atteinte par le biais de la musique. Au sommaire notamment, pour les ultramélomanes chevaucheurs de comètes, Les Utopies et les distopies dans les technologies sonores ; Les Atmosphères utopiques dans les pratiques musicales ; l’utopie à l’école expérimentale de Princeton et surtout le traitement de l’utopie chez le compositeur post-johncagien très allumé Horatiu Radulescu dont les partitions nirvanaesques permettraient une « réévaluation de ce que signifie le concept même d’utopie », qu’il rebaptise oto-utopie, et tendraient de plus en plus à « supplanter la réalité », une telle utopie s’avérant être, jambon à cornes !, « la rencontre intime entre le phénomène acoustique et le sujet à l’écoute ».

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