Cap sur l’utopie

La samba des insurgés

Si le rigoureux essai Commun : essai sur la révolution au XXI e siècle (La Découverte) de Pierre Dardot et Christian Laval, les auteurs de Sauver Marx ?, semble tenir quasiment le même propos que des tapées d’ouvrages récents de critique sociale acérée, ne lâchons pas les grandes eaux pour autant. Puisque c’est un propos fute-fute, un propos qu’il fait bon répandre. À savoir qu’en nos temps « cosmocapitalistes », nous vivons « la tragédie du non-commun », prisonniers que nous sommes d’un « nouveau système de normes » nous menant à ce que Hannah Arendt appelait « la désolation ». Et que la meilleure voie de résistance contre « la rationalité libérale » gangrenant tout, c’est de « refondre [j’ajoute, moi, jouissivement] le concept de commun ». En revenant aux principes toniques de l’autonomie communaliste (viva Louise Michel !), de la fédération de communes en pétard (viva Bakounine !), du communisme des conseils (viva Pannekoek !) faisant la nique à l’idée lénino-trotskiste profondément autoritaire d’un « État unitaire et centralisé » et à la chimère robespierriste niguedouille d’une « République une et indivisible ».

Le livre, touffu, appelle bien entendu à quelques autres formes de « nouvelles institutions de la société par elle-même », notamment lorsqu’il nous emmène dans les quartiers périphériques des grandes métropoles brésiliennes où l’on expérimente guillerettement en dansant la samba ce que pourrait être la « citoyenneté insurgée » (Insurgent Citizenship) pleinement assumée.

À signaler également, dans une optique plus lyriquement vaneigemienne que néo-conseilliste, le dernier pamphlet revigorant de Sergio Ghirardi, Lettre ouverte aux survivants. De l’économie de la catastrophe à la société du don (Éditions libertaires) qui exhorte à «  l’instauration d’une démocratie directe étendue du local au planétaire par des groupements d’hommes et de femmes totalement libres de choisir leur destin ».

Le type de démocratie directe choucarde qui ne fut pas seulement l’apanage des collectivistes de la guerre d’Espagne et des communards de 68. Le veilleur de nuit Olivier Hiard, dans son pointilleux récit documentaire Aymare (Éd. libertaires aussi), nous apprend qu’entre les deux, qu’entre 1939 et 1967, pendant les Trente Glorieuses, des anars de l’ex-colonne Durruti créèrent en Haute-Bouriane, dans le Lot, un véritable bastion libertaire permettant à pas moins de 34 mimiles de vivre toute l’année dans, je les cite, « l’entraide, la solidarité, l’égalité, l’autogestion, la fraternité, la culture »… et l’agriculture (120 ha à travailler). Seulement, en allant y voir de plus près, on constate avec épouvante que l’aventure fut avant tout une affaire de mecs ne pouvant compter que sur à peine deux-trois amazones pour s’occuper des cuisines, de la lingerie et de l’intendance du pavillon des malades. Heureusement, en guise de consolation pour les lustucrus de la colonie d’Aymare pas particulièrement gays, il restait, je n’invente rien, la pêche aux poissons-chats.

À nous dès lors de les mettre en branle nous-mêmes, les communautés hédonistes poilantes dont nous rêvons en nous inspirant, par exemple, de Rabelais, Fourier, Émile Armand, des Diggers de San Francisco des seventies et de nos phantasmes les plus éperonnants.

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