Vers l’effondrement du monde adulte ?
Comme il est question d’alternatives utopistes dans quelques livres récents, j’ai ôté mon lorgnon (je vois mieux sans) pour aller jeter un œil par là.
Biographe de Chamfort (pourquoi pas ?) et de Cocteau (ouh la la !), Claude Arnaud décrit « l’effondrement du monde adulte » en mai 68 à travers les vitreux d’un gavroche de douze ans dans son roman Qu’as-tu fait de tes frères ? (Grasset). Paris y « baigne dans un climat de rêve ». C’est le carnaval (on pille les réserves à costumes de l’Odéon), c’est Capoue (les délices de la Marie-Jeanne et de la bisexualité), c’est Kronstadt (« La Bourse est en flammes, les ministères se vident, De Gaulle n’a plus de voix »). Et puis, patatras !, c’est la sempiternelle débandade des pleutres : « Mai 68 a dégagé une chaleur orgiaque, mais je ne me vois pas souffler ad vitam aeternam sur les braises. »
Marie-Louise Duboin est la bouillante fille du tout à fait méconnu Jacques Duboin qui, vingt-cinq ans avant les situs, lança en France le mouvement abondanciste se faisant fort de démontrer que grâce, notamment, à « la grande relève de l’homme par la machine » (titre d’un de ses manifestes-clé), on pourrait en finir séance tenante avec l’oseille, le turbin, le commerce tout en assurant l’abondance pour tous. Moins radicale, mieux léchée, plus portée sur les réformettes-branlettes que son papa, Marie-Louise, dans Mais où va l’argent (Sextant), propose « une utopie à la mesure des urgences » : la démocratie directe en économie.
Dans Rédemption et utopie (éd. du Sandre, 2009), son étude fouillée sur le judaïsme libertaire en Europe centrale, Michael Löwy s’arrête sur les cracks de l’école de Francfort, Bloch, Fromm, Lukacs, Benjamin, « attirés par les utopies sociales ». Soit, précise Ernst Bloch, « la proclamation de la liberté d’association au-dessus des États, la négation de toute loi imposée du dehors, la liberté pour chacun d’adopter la morale qu’il a choisie et comprise ». Mais il s’arrête aussi sur l’anarchiste romantique Gustav Landauer qui n’envisageait la révolution que comme un Jetzerleben, un vécu-du-maintenant, impliquant que c’était tout de suite qu’il s’agissait d’anticiper l’utopie en constituant un « réseau de structures autonomes rétablissant l’unité, brisée par le capitalisme, entre agriculture, industrie et artisanat, entre travail manuel et intellectuel, entre enseignement et apprentissage ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°90 (juin 2011)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°90 (juin 2011)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 05.08.2011
Dans CQFD n°90 (juin 2011)
Derniers articles de Noël Godin