Des graines d’utopie
Quand on trompette : « Un autre présent pour un autre futur », on a naturellement tout dit, que pour avoir une chance de transformer le monde, il faut changer la vie illico. Ce foudroyant appel à la révolution immédiate ayant aimanté mai 68, on le trouve dans L’Argentine des piqueteros, une expérience partageable ? (éditions CNT-RP) de Frank Mintz. Il rappelle avec alacrité que les piqueteros sont des chômeurs actifs, ou des travailleurs précaires, « refusant de s’enfoncer dans la détresse » en lutte contre les classes dirigeantes, les syndicats mafieux, « les multinationales spoliatrices ». Qu’ils sont organisés spontanément et horizontalement. Qu’ils ont su éviter bien des « prismes récupérateurs » (le néo-péronisme, le foquisme des montoneros et des guévaristes, le centralisme bureaucratique des léninistes, le populisme style Evo Morales). Qu’ils proclament que pour sculpter le futur sur « des bases socio-économiques égalitaires et solidaires », il faut partir des urgences quotidiennes en veillant à ce que la base contrôle réellement chaque moment du combat.
Avec le concours, notamment, du même « Frank-tireur », le manifeste d’Alternative libertaire, L’Autogestion, une idée toujours neuve nous éclaire pas mal sur « les graines d’utopie » semées ces dernières décennies au Brésil, au Québec, en Suisse, en Tchécoslovaquie, en Italie, en Grande-Bretagne, en ex-Yougoslavie et, bien sûr, au Mexique. Ce qu’il y a de stimulant dans cette plaquette manquant par ailleurs de mordant et de fantaisie, c’est le refus du réformisme gluant. Il n’y est pas question de tenter d’améliorer le capitalisme avec de « véritables mécanismes de régulation » et l’application, par exemple, de la fameuse taxe Tobin. C’est le capitalisme en soi, l’État, providence ou non, qu’il s’agit d’envoyer aux pelotes en expérimentant des formes libertaires de vie. Hardi petit, les mimiles ! Et n’oublions surtout pas que le coopérativisme autogestionnaire à la Proudhon ou à la Cohn Bendit « parti d’un idéal généreux, peut vite suivre la voie de l’intégration au marché ».
La vigilance s’impose aussi diablement quand on folâtre dans l’ouvrage collectif Une fabrique de libertés (éd. Repas) qui retrace par le menu l’histoire d’un lycée public de Paris autogéré depuis 1982. C’est qu’on a évidemment tendance à applaudir toute alternative à « l’école-caserne » avec une pensée pour les audaces anti-autoritaires de S.A. Neill à Summerhill, de Sébastien Faure à la Ruche et de l’anti-éducastreur déchaîné Jules Celma. À première vue seulement, car, s’il l’on en croit la préface chafouine au livre du professeur d’anthropologie de l’éducation Patrice Boumard et des textes constipés comme « L’Évolution de ma compréhension du projet éducatif du LAP », on n’a pas l’air de se fendre particulièrement la pêche ni de faire criquon-criquette dans les vestiaires dans cet antre du gai savoir bien léché.
Cet article a été publié dans
CQFD n°109 (mars 2013)
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Paru dans CQFD n°109 (mars 2013)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 13.05.2013
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