Cap sur l’utopie

Alignons-nous sur les ouragans, les blizzards, les tornades

Les valises se bouclent. Idyllique moment pour y fourrer quelques livres mutins baignant dans le désir de refaire le monde qu’on allait cruchement laisser de côté.

68, une histoire collective, réédité par La Découverte/Poche, n’est pas seulement un fourre-tout sociologique glutineux, certaines sections de la brique étant prises en mains par de vrais connaisseurs des sujets attaqués. C’est ainsi que c’est le chantre de L’Insurrection situationniste, Laurent Chollet, qui signe les pages sur les situs et les freaks, que Jean-Louis Violeau traite acerbement de l’urbanisme utopiste et que Laurent Dupuis-Déri, l’historien des blacks blocks, s’occupe de la révolte des « nègres blancs » au Québec ; tandis qu’Alain Brossat, l’historien des Tupamaros, raconte l’épopée intrépide de la Zengakuren nippone qui compliqua la vie de quelques porte-avions nucléaires US.

Mais qu’en est-il dans tout ça des « utopies communautaires » d’avant et d’après 68 à la campagne ou à la périphérie des villes ? Selon les rapports de police, entre 1967 et 1973, il y aurait eu grosso modo près de 300 micro-communautés alternatives se concentrant majoritairement dans la Lozère, l’Aveyron, le Gard et se découpant en deux tendances principales : «  les libertaires politisés et les bobos néoruraux ». S’inspirant volontiers du Living Theatre (où tout se partageait), des provos hollandais, des Kommunen activistes de Berlin, les anars envoyaient a priori bouler aussi bien les pratiques politiques institutionnelles ou militantes que les relations de domination et de pognon et les tabous sexuels, rapporte le professeur Laurent Quero. Et se montraient, ajoute-t-il, fort accueillants vis-à-vis des déserteurs et des fugitifs divers. Ce qui n’était pas particulièrement le cas des baudets mystiques non violents à la Lanza del Vasto qui maintenaient pathétiquement les principes de la cellule familiale et de l’ascétisme monastique.

À signaler également sur Mai-68 l’amusant roman uchronique de Xavier Bruce La République des enragés (ActuSF) dans lequel « les petits gauchistes qui veulent changer la face du monde » se proposent, dixit Pompidou le 16 mai 1968, de « généraliser le désordre avec le but avoué de détruire la nation et les bases mêmes de notre société libre ».

Après avoir rappelé qu’on n’est décidément pas sortis de l’auberge, puisque le capitalisme, en se développant, ne crée pas les conditions de sa fin, mais tout au contraire celles de sa «  reproduction, de son renouvellement, de son renforcement », le compère Georges Lapierre dans son Être ouragans – écrits de la dissidence (L’Insomniaque) nous fait un bien fou. Il oppose au cauchemar totalitaire-marchand le rêve toniquement éveillé des sociétés sans État, des peuples en résistance, des bandes de banlieues, des pirates, des apaches, des blousons noirs, des zapatistes, des voyous et autres « voyants » des bas-fonds nous exhortant au « bien vivre ensemble » immédiat, au niquage de toutes les formes de hiérarchisations, de contraintes, de rapports de forces. Autrement dit, à nous, selon le souhait du sous-commandant Marcos « de faire une révolution qui rende possible la révolution ». C’est que, entend-on gronder dans le Chiapas, « nous pensons qu’il serait temps de nous aligner sur les ouragans, les inondations, les blizzards, tornades et tsunamis ».

Alignons-nous, les mimiles !

Noël Godin

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