« Envoyez vos vaisseaux sur les mers inexplorées » (Nietzsche)
Comme bon nombre de mes camerluches, je vais emporter avec moi dans mes expéditions d’été le fort dodu Constellations – Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle du collectif Mauvaise Troupe (L’Éclat) au sommaire pas piqué des hameçons, de « Sur la route avec l’autonomie italienne » à « L’Apparition des hackerspaces en France », à « L’Éruption des fêtes sauvages » et aux pages effrontées sur les « Serial sabotages » nous conviant à nous organiser en groupes et en bandes pour « déserter », « arracher des lieux » et « saboter l’économie ».
À fourrer aussi dans votre gibecière de randonnées, fût-ce au détriment de vos sapes de rechange, trois brûlots :
Petit Éloge de l’anarchisme (Lux) de James C. Scott, l’auteur du vital Zomia (Seuil), qui justifie d’une manière originale et contagieuse bien des formes d’insubordination « infrapolitiques » négligées par les nouvelles extrêmes gauches : « Le ralentissement délibéré, le braconnage, le chapardage, la dissimulation, le sabotage, la désertion, l’absentéisme, l’occupation illégale… ». Et le vénérable professeur de l’université Yale de balancer avec superbe qu’en 1999 le vaste mouvement antimondialisation serait pratiquement passé inaperçu sans les saccages des blacks blocs.
Également édité au Québec, Murray Bookchin et l’écologie sociale de Vincent Gerbert (Écosociété), une biographie intellectuelle, comme on dit aujourd’hui, d’un des premiers chantres de la démocratie vraiment directe à avoir envisagé l’écologie comme « levier d’opposition au capitalisme ». Son modèle d’organisation sociale depuis les années 1950-60 : le municipalisme libertaire (que ça sonne mal, ventre de bœuf !). Soit une confédération moléculaire de communes libres « décentralisées et politiquement autonomes ». Au parlement, à qui on a rivé le clou, se substituent dorénavant des assemblées populaires pourvues de tous les pouvoirs de décision. « Le système ne tombera que lorsque ses institutions auront à ce point été vidées de leur contenu que l’insurrection n’aura plus qu’un rôle symbolique à jouer. »
Un coup d’État nietzschéen (L’Insomniaque), certainement l’un des meilleurs textes d’Hakim Bey, raconte une délicieuse utopie vécue, pas du tout connue, datant de novembre 1918. Ça se passe dans la bourgade roumaine de Coumantza, sur les côtes de la mer Noire. Georghiu Mavrocordato, l’hospodar1 héréditaire excentrique des lieux, et ses amis très barrés du club scythe envoient tout d’un coup dinguer par les armes la petite garnison allemande qui occupe la ville et déclarent la révolution ouverte. C’est ainsi que le sandjakDivision territoriale de l’Empire ottoman. de Coumantza devient une mini-république des conseils dionysiaques chargée d’orchestrer « et non de diriger un réseau horizontal de solidarités contractuelles ». Que sa Constitution est tout entière un florilège de citations de Nietzsche (« Je vous le dis : on doit encore avoir du chaos en soi pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. ») Que toutes les terres du coin sont redistribuées (les proprios absents sont expropriés, les autres doivent partager leurs hectares avec les paysans). Que la censure est abolie. Que chacun vit désormais dans une certaine abondance matérielle grâce à la légalisation de la contrebande et grâce au barbotage d’un trésor antique. Et puis c’est ainsi que, comme durant le soulèvement extravagant de Fiume à la même époque, un véritable culte collectif est rendu à la zizique. Nietzsche toujours : « Sans la musique, la vie serait une erreur. »
1 Souverain.
Cet article a été publié dans
CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
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Paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 20.10.2014
Dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014)
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