Sous la houlette d’Alain Caillé et sous des dehors quelque peu ascétiques, Éléments d’une politique convivialiste [1] commence par un constat abrupt : notre monde ayant basculé dans le règne de l’hubris (le désir de toute-puissance) et de la pléonexie (le désir de posséder toujours plus), il ne nous reste plus qu’à esquisser au plus vite les grandes lignes d’un monde harmonieux post-libéral et à « redéfinir les conditions d’un développement équitable des pays émergents ». On n’a pas le choix, « il est impératif de s’affranchir des cadres et des limites du jeu politique institué » et d’expérimenter illico des alternatives qui « aménagent la transition vers un monde de prospérité », fût-elle sans croissance. D’après les convivialistes, soutenus notamment par Jean-Claude Guillebaud, Edgar Morin, Gustave Massiah, Yann Moulier-Boutang, Suzanne George et même Serge Latouche (mais qui remet, lui, en cause « l’ensemble du paradigme dominant »), ça bouge bien d’ores et déjà.
L’exemple de Copenhague montre qu’on peut électrifier une métropole en se passant à terme pas trop éloigné de toute source d’énergie fossile. L’exemple allemand prouve qu’on peut alimenter un réseau électrique national à partir de multiples panneaux solaires décentralisés. L’exemple suisse du Wir indique que des milliers d’entreprises sont à même de « commercer entre elles hors de toute perspective de spéculation en créant leur propre monnaie ». Il y a aussi les « milliers de lancements prometteurs de villes en transition » qui seront bientôt, « en liaison avec une agriculture rurale recourant à l’agrobiologie et à la permaculture, plus productives que l’agriculture industrielle charriant d’infinies quantités de produits polluants et toxiques ». Et puis, il y a « tout ce qui se fait ou se cherche du côté de la relocalisation, de la reviviscence de circuits courts, de l’économie sociale et solidaire, des expériences slow food, slow science, slow town ». Et encore des slow workshops, des ateliers pour tout réparer, des voitures aux ordinateurs. Et des « ateliers d’appropriation de sources logicielles, autrement dit de fabrication et de développement de logiciels libres en open source où les techniques, au lieu d’être confisquées par des mafias légales, seraient mises au service des pratiques de création ».
Évidemment, on ne se leurre pas. Le programme convivialiste, c’est par ailleurs de la poisseuse marmelade ultra réformiste. On y trompette qu’il faut reconstruire des « rapports confiants entre tous les acteurs sociaux et économiques », qu’il s’agit de « faire trialoguer les industriels, les associations environnementales et les agences gouvernementales de l’environnement », que « l’exil fiscal devrait entraîner une déchéance de nationalité ». Et qu’on doit « refonder les institutions politiques de la démocratie ».
Bouh, bouh, n’en jetons plus, laissons les grenouilles grenouiller dans leurs mares croupissantes. Ras les berlingots du réformisme visqueux. C’est tout de suite, jambon à cornes !, que nous voulons réaliser nos désirs les plus incandescents. C’est tout de suite que nous exigeons que chacun puisse n’en faire qu’à sa tête. Ohé, ohé, expérimentons sur-le-champ la « liberté libre » que revendiquait Rimbaud. Comme lui, révoltons-nous contre la mort, changeons la vie, feignons, fainéantons. Et refaisons la Commune. Et remaisoixantehuitons. En démantibulant pour de vrai la société du travail et du pognon. Et en anticipant burlesquement, poétiquement, ludiquement, voluptueusement, de mille et une manières inattendues, le monde du plaisir sans freins. À nous de jouer, les gusses, pour que le blabla anarcho-utopiste se mue en branle-bas. Plus de blabla, du branle-bas !