Cap sur l’utopie
À mort l’économie !
Un Serge Latouche, fer de lance du combat pour la décroissance (« une croissance infinie sur une planète finie s’avérant être une absurdité totale »), multiplié par un Anselm Jappe, implacable critique post-debordien de « la valeur » débarquant du groupe Krisis, ça donne quoi ? Ça donne Pour en finir avec l’économie, publié en 2015 aux éditions Libre & Solidaire.
Il était temps, l’irréductible visionnaire Baudrillard n’étant plus là, de renouveler radicalement la pensée critique. Latouche et Jappe y parviennent avec une enflammante clarté en démontrant que l’économie est une forme de vie sociale spécifiquement liée aux seuls rapports sociaux capitalistes ; que pour lui faire rendre gorge sur le plan tout d’abord théorique, il y a lieu de dépasser les concepts marxistes mais qu’on peut néanmoins se servir de ceux‑ci en allant « avec Marx, au-delà de Marx » ; que l’économie, dont il urge de chahuter férocement les catégories clé – la marchandise, le travail, l’argent ou la valeur –, est la forme moderne du fétichisme ; et qu’on se doit donc d’en « sortir » foutrement. Ce qui ne signifie pas seulement « sortir du culte du travail, mais aussi sortir du cadre où le travail est la base de la vie sociale et individuelle. Il faut arriver à une autre organisation des activités sociales qui dépasse complètement la conception totalitaire du travail ». Et celle de l’argent. Anselm Jappe explique pourquoi il se méfie des monnaies alternatives et fondantes : « La seule alternative à l’échange monétaire serait une organisation (post‑économique) de la société où il n’y a plus d’échange entre des acteurs individuels sur un marché anonyme, mais une organisation de la production où chacun obtient ses moyens d’existence du fait d’avoir participé de quelque manière à la vie sociale. » Et l’agitateur Jappe, au cours d’un débat sur ses ruptures, d’ébaucher l’idée d’une « fédération entre les expériences de réappropriation du vécu issues de la libération du joug économiciste ». Ce qui nous ramène, on avait besoin d’un peu de vrai concret pour d’autant mieux « détruire l’idée bourgeoise du bonheur », à Barcelone, à Exarcheia, à Notre-Dame-des-Landes, au Chiapas et à l’Argentine des piqueteros pendant la crise de 2001. « Une partie de la population a voulu s’approprier directement des ressources sans se préoccuper de savoir si on devait les acheter ou pas, s’il y avait des territoires à utiliser, des usines dont on pouvait faire marcher les machines, des maisons vides que l’on pouvait habiter. Je pense, j’espère que de plus en plus de gens vont se dire que l’on va s’en servir, sans même respecter la question de la propriété privée, sans se demander s’il faut payer pour leur utilisation, et sans se demander surtout s’il est possible de gagner de l’argent avec ces nouvelles activités et ces réappropriations. Je pense que c’est là la seule possibilité de changer les choses. »
Changer les choses à la Fourier dans « le nouveau monde amoureux » où « le désir, seule règle que l’homme ait à connaître, approvisionne sans fin l’appétit de merveilleux ». Au sommaire notamment du n°27 des Cahiers Charles Fourier (Presses du réel), un cri de ralliement de l’intransigeante pamphlétaire Annie Le Brun aux programmes érotico‑ludiques de Fourier rappelant qu’à ses yeux « chacun a raison en amour puisqu’il est la passion de la déraison » ; une étude succulente de la géniale Simone Debout‑Oleszkiewicz sur « les harmonies polygames en amour » dans les phalanstères fouriéristes ; et un hymne de l’illustre écrivain mexicain Octavio Paz au principe de plaisir, « qui est explosion et subversion », magnétisant le moindre écrit du plus maboul des utopistes.
Cet article a été publié dans
CQFD n°158 (octobre 2017)
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Paru dans CQFD n°158 (octobre 2017)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 22.01.2018
Dans CQFD n°158 (octobre 2017)
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