Coup de froid sur la rentrée sociale

« La loi Travail XXL n’est qu’un hors-d’œuvre »

Depuis que Macron a signé les ordonnances de la loi Travail, le mouvement social tente de se réinventer. Essoufflement, division, fatalisme : il y a les pièges à éviter. Et de nouvelles stratégies de lutte à définir.

Jeudi 21 septembre, place de Catalogne à Perpignan. Le camion de la Cégète à fond les baffles. Immarcescible playlist : « Motivés », « Antisocial », « L’Estaca » de Lluis Llach. Quelques grappes de militants qui devisent, s’évaluent, se pronostiquent. Un peu de fébrilité pour ce second round, après le succès inattendu de la mobilisation du 12 septembre. On recroise Charles, sculpteur qui travaille dans le quartier de la gare. Il y a deux jours, l’artiste avait pronostiqué : « Y’a une nouvelle manif jeudi. Elle servira sûrement à pas grand‑-chose, mais c’est quand même important d’y être. Et puis, c’est l’occasion de revoir les copains. »

Par Ruoyi Jin.

Émiettement des forces

La division syndicale et l’art de la guerre sociale macronienne laissent perplexes bon nombre de militants, même des plus aguerris. Marc, avec son drapeau rose aux armoiries de Sud Éducation, grimace. Chez les lycéens et les étudiants, la mobilisation frôle l’encéphalogramme plat. Quant aux profs : «  Tant qu’ils ne sont pas directement concernés, ils ne bougent pas. » Guillaume, cégétiste trimant à la Caisse primaire, reste circonspect mais positif : « Chez nous, il y a eu 47 % de grévistes mardi dernier ! » Indécrottable anar et membre d’un collectif anti‑Linky, Floréal se montre moins optimiste. Il pointe l’émiettement des forces et la pusillanimité de ces journées nationales : « Tant que n’aura pas été décrétée la grève générale, on ne créera pas de rapport de force efficace contre ce gouvernement. »

Tous ensemble, tous ensemble : le mantra incantatoire semble plus que jamais hors de portée. Même les gueulantes dans les mégaphones font semblant d’y croire. Il n’y a qu’à voir le peu d’échos chez les batteurs de pavé, qui préfèrent taper la discute que de s’époumoner en slogan anticapitaliste. « Macron En Marche… vers la régression sociale et démocratique – Résistons ! », titre un tract unitaire signé, entre autre, par Alternative libertaire, le NPA, le PCF et… les Jeunes Socialistes ! Une brochette de jeunes pousses socialos a d’ailleurs fait le déplacement et attend de rejoindre le cortège. Un voisin lâche : « Ils ont pas honte, quand même ! »

Ceux qui étaient aux manettes de la Loi El Khomri se trouvent à présent en plein exercice de contrition républicaine. En tête de cortège, une déclinaison locale du Front social tente de jouer l’unité en dépassant partis et syndicats sur leur gauche. Vaste ambition.

« Propagande par l’exemple »

Mardi 26 septembre. Les ordonnances sont signées, mais Laurent garde la niaque. Encarté à Sud Commerce, l’homme est l’un des animateurs du Front social sur Paris. En quelques mots, il décrypte la genèse du mouvement : « Le Front social est le précipité de la mobilisation contre la loi Travail de l’an dernier. On est parti d’un constat, partagé par des militants SUD et CGT : peu importait le vainqueur de l’élection présidentielle, on allait de toute façon en prendre plein la gueule. Il fallait donc s’organiser en amont avec ceux qui étaient déjà prêts à en découdre. » Las de l’habituel exercice de figuration du troisième tour électoral, ils organisent le premier tour social, à la veille de celui des présidentielles. 2 000 personnes répondent à l’appel. Puis le 8 mai, ce sont 8 000 pékins qui se déplacent. Et l’aïoli continue de monter !

La dynamique compte aujourd’hui 150 organisations. Syndicats d’entreprise, unions locales, les Goodyear, des comités Attac, la compagnie Jolie Môme, Génération ingouvernable, etc. Face au piège de la concertation macronienne, Laurent dénonce « une neurasthénie complète » des centrales. Prônant « une propagande par le fait et l’exemple », il refuse pour autant que le Front social joue le rôle d’aiguillon du mouvement social. « On est en train de revivre ce qui s’est passé en 2016, avec des échéances – les deux journées d’action, les routiers, les retraités, etc. – qui se précipitent les unes derrière les autres, poursuit le syndicaliste. Alors que si on veut gagner et bloquer l’économie, il faut faire les uns avec les autres. Tous ensemble, le même jour. Car même si Macron a signé les ordonnances, on n’en a pas fini avec sa politique. La loi Travail XXL n’est qu’un hors–-d’œuvre. »

La stratégie se pense alors sur un tripode : les grèves, la jeunesse (le Front social a poussé à la roue pour que des jeunes battent le pavé avec les retraités lors de la journée du 28 septembre) et l’unité. Laurent encore : « On est là pour créer du liant, de la convergence. » Anticipant la journée de mobilisation des fonctionnaires du 10 octobre, le syndicaliste plaide pour un mélange des genres public/privé. Et si on a le malheur de lui susurrer que les choses sont quand même assez mal barrées, il dégaine du Gramsci sur le quai du métro : « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté. »

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