Gilets Jaunes

Rappelle-toi la furie fluo

À l’approche de l’anniversaire des cinq ans des Gilets jaunes, le documentaire Les Voies jaunes de Sylvestre Meinzer vient rafraîchir une mémoire des luttes plus frémissante qu’il n’y paraît. Sortie en salles le 15 novembre.

Qu’on se souvienne ! Le 17 novembre 2018, environ 300 000 Gilets jaunes prennent les ronds-points et bloquent les flux de bagnoles du pays. Après une brève séquence paternaliste, médias et politiques ne tardent pas à caricaturer les ingérables fluos en autant d’« affreux, sales et méchants ». La réalisatrice Sylvestre Meinzer se laisse guider par sa curiosité et sa fascination pour ce soulèvement inédit. « Le 8 décembre, je participe à ma première manifestation, se souvient-elle. Un souffle de fraîcheur comme j’en ai rarement vécu ! Des gens de tous horizons débarquent à Paris pour la première fois. Les discussions fusent dans tous les sens. La capitale est grande, les gens se plaignent de leurs ampoules aux pieds ! Le mouvement traverse chacun à son corps défendant. » À ce moment-là, Sylvestre Meinzer accompagne les dernières projections de Mémoires d’un condamné, son documentaire sorti fin 2017 sur Jules Durand, ouvrier du Havre condamné à mort en 1910 à la suite d’une machination patronale doublée d’un crime judiciaire1. Un an de tournée durant lequel Sylvestre Meinzer s’est baladée dans les environs de villes de province, se souvenant « des zones déclassées, des rues silencieuses aux boutiques fermées, des grands centres commerciaux remplis de consommateurs précaires…  » Fin 2018, la furie fluo a dynamité ces ambiances de misère. « Ces paysages délaissés que j’avais traversés, je les voyais soudain peints de jaune et pleins d’une effervescence nouvelle. Quand j’ai appris que le plus gros rond-point du Havre se trouvait justement boulevard Jules-Durand, j’ai pensé qu’il y avait là comme un appel. » Ne jamais sous-estimer la force des symboles. Du Havre à Marseille, Sylvestre Meinzer a construit un road trip où le hors-champ illustre les témoignages de Gilets jaunes embarqués dans une soudaine accélération de notre histoire sociale. Cinq ans après, un film est né : Les Voies jaunes2. Un genre d’errance paysagère avec travelling en bandoulière et plan fixe en embuscade. Du large à l’intime, de la pelleteuse effritant la falaise au chat cherchant sa flaque de soleil, la caméra de Sylvestre Meinzer prend tout. Zones pavillonnaires, humbles bicoques, plages, routes, ports, champs, potagers, casse auto, ciel étoilé, cuisines, salons. Le message est clair : la révolte des Gilets jaunes n’a épargné aucune portion du territoire. C’est même souvent dans les coins les plus reculés de l’Hexagone que la colère populaire a atteint des acmés inédits. Au Puy-en-Velay (Haute-Loire), pays des lentilles et de la verveine, la préfecture a brûlé. Il faut écouter le témoignage d’Ondine raconter les 200 Gilets massés dans la cour de la préfecture et les « trois flics morts de trouille » protégés par quelques manifestants. En contraste avec ce 1er décembre 2018 incandescent, la caméra donne à voir, plusieurs mois après, ce même bâtiment public duquel deux travailleurs ôtent le pavoisement sous un ciel bleu apaisé. Le calme après la tempête. En espérant la tempête à nouveau.

Par Sébastien Navarro
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CQFD n°224 (novembre 2023)

Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.

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