La chronique littéraire de Noël Godin.
Les marsouins des éditions du Passager clandestin sont des petits malins : ils ont pris soin d’éviter les mines flottantes écolo-rigoristes ou ramollo-mystiques en lançant à la mer leur aguichante collection « les précurseurs de la décroissance » acoquinant un commentaire corsé à des textes choisis de grands anciens rebelles. Leur Léon Tolstoï – contre le fantasme de la toute-puissance par Renaud Garcia ne s’englue pas dans le christianisme crapoteux. Leur Épicure – ou l’économie du bonheur par Étienne (...)
On sait qu’avant les années d’aspiration au renversement des règles (1960-1980) et qu’après les années de rentrée dans les rangs, le terme « utopie » renvoyait défaitistement à des projets bandants sans espoir de réalisation. On sait aussi que ce mot magnifié par Rabelais, par Fourier, par Wilde est en train de retrouver toute sa puissance libératrice. Dans sa très fructueuse Utopie du logiciel libre (Le Passager clandestin), Sébastien Broca estime qu’il n’y a plus lieu de considérer l’utopie comme « un (...)
Opter pour les utopies chouettes, c’est aussi veiller à vivre tout de suite des « rapports égalitaires, respectueux et fraternels », ajoutons « jouissifs », dans des groupes autonomes libertaires ponctuels « transparents et affinitaires ». Dans Toulouse, années 80, un goût certain pour le sabotage (Le Coquelicot), la craquante Anne Carratié fait revivre avec fougue l’une des mouvances antiautoritaires les plus inspirées de la France post-68, à laquelle nous devons : – bien des détournements « (...)
Que veux-tu pour ta Noël, mon petit chou ? Le petit chou, il veut Le Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier, réédité aux Presses du réel. Il paraît que ça indique comment transformer n’importe quelle corvée en partie de plaisir. Et comment nos manies sexuelles les plus insolites pourraient avoir une véritable utilité sociale. À l’usage particulier des explorateurs de la pensée risque-tout et du langage extraordinaire, si riche en néologismes surprenants, de l’utopiste, le même éditeur sort un très (...)
Le plus jouissif, le plus séditieux, le plus chamboulant d’entre tous les livres rebelles jamais conçus, Le Nouveau Monde amoureux (circa 1820), est réédité ces jours-ci aux Presses du réel. J’y reviendrai chaque mois jusqu’à ce qu’il trône sur votre table de chevet (ou dans vos hamacs). Disons juste pour vous allécher que Fourier y imagine une société festive et ludique, basée sur une « interactivité horizontale » passionnée et sur une tolérance complice pour les passions et les manies de chacun (...)
Les réveilleurs de la nuit, bravo les gaillards !, sortent un petit livre éperonnant sur un « soulèvement prolétarien » du XIVe siècle vraiment castard, La Révolte des Ciompi, décrite par Machiavel dans ses Histoires florentines puis évoquée par Simone Weil dans une de ses « critiques sociales ». En 1378, dans la cité du lys rouge, les « sottoposti », artisans du textile florentin les plus sous-payés, « des gens inutiles et de vile condition, grossiers, sales et mal vêtus » selon le prieur Alamano (...)
Connaissez-vous la « Zomia » ? Jusqu’à peu, moi non plus. D’autant moins que ça n’apparaît sur aucune carte. La « Zomia », chouagamment décrite par le prof d’anthropologie de Yale James C. Scott dans Zomia ou l’art de ne pas être gouverné (Seuil), qui est aussi bien que son titre, serait, d’après notre puits d’érudition, « la dernière région du monde dont les peuples refusent obstinément leur intégration à l’État-nation ». Assez récent, le terme Zomia désigne l’ensemble des territoires se nichant à des (...)
L’historienne du féminisme Benoîte Groult ne semble pas du tout être une Marie Grognon, et on peut espérer qu’elle a à la chouette les Femen. Grâce à elle, notamment, on sait que tout plein d’hommes illustres faisant autorité étaient des SS (des salopards de sexistes). Du toubib Hippocrate qui décrétait que « la Femme est de nature humide, spongieuse et froide tandis que l’Homme, lui, est sec et chaud » à presque tous les porte-oriflammes de la Révolution française. Et elle retrace avec verve depuis une (...)
Thierry Gillybœuf mérite qu’on se rince le fusil avec lui au moins pour trois raisons. D’abord et d’une, il a traduit et préfacé les écrits de l’utopiste british castard du XIXe siècle William Morris sur L’Art et l’artisanat (Rivages poche). Après être rentré avec virulence dans le chou du capitalisme qui « aliène les libertés créatrices » des artistes et des artisans en leur « imposant de générer des bénéfices et non de répondre à un désir de beauté ». Et après avoir tempêté contre l’industrialisme qui (...)
Je ne sais plus dans quelle contrée d’Espagne libérée par la colonne Durruti pendant la guerre civile l’assemblée des insurgés du coin réimaginant le vivre ensemble décréta le port obligatoire de… la salopette. Pour parcourir mes considérations hâtives sur l’utopie et le mouvement ouvrier, je m’en voudrais d’insister pour que vous vous mettiez en bleu de chauffe. La gidouillarde (800 pages !) Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours, orchestrée par Michel Pigenet et Danielle (...)