Au sommaire du n°173
À la Une
Gilets jaunes à Perpignan – Du rond-point à la mise sous écrou > L’acte VIII des Gilets jaunes fut le premier de la nouvelle année. Après la trêve des confiseurs, les manifestants avaient promis de renouer avec le bitume. À Perpignan, l’occupation pacifique du tribunal a coûté cher à une poignée d’entre eux. Reportage.
Casseurs de justice – Raphaël Kempf : « Il y a eu de nombreux manquements au droit dans la répression du mouvement » > Si la répression policière du mouvement des Gilets jaunes et son cortège de mutilations a (un peu) percé le plafond médiatique, le volet judiciaire de cette envolée vers l’autoritarisme est peu discuté. Il y a pourtant de quoi, tant le droit est instrumentalisé en vue de saborder le mouvement. Parmi les rares qui élèvent la voix, il y a Raphaël Kempf, avocat qui a défendu nombre de Gilets jaunes interpellés. Entretien.
Répression du foot et des manifs – Ficher et interdire, les supporteurs connaissent déjà la chanson > Pour mettre à genoux le mouvement des Gilets jaunes, Édouard Philippe a annoncé le 7 janvier sur TF1 qu’une future loi anti-casseurs, inspirée des mesures répressives qui frappent régulièrement les supporteurs de foot, allait voir le jour. Isolés dans leur combat, les fans du ballon rond n’ont pourtant eu de cesse d’alerter sur les atteintes aux libertés et la répression qu’ils subissent.
Violences policières en manif’ – « On en est à plus de 110 blessés graves » > Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, la brutalité du maintien de l’ordre a tué une mamie algérienne, mutilé plus d’une vingtaine de personnes et blessé moult autres manifestant.es et passant.es. Avec, en toile de fond, un époustouflant déni gouvernemental et un black-out médiatique qui a duré près de deux mois, nonobstant les vidéos accablantes qui circulaient sur les réseaux sociaux. À l’instar du journaliste David Dufresne, le collectif « Désarmons-les ! » s’échine à recenser les blessures causées par la police. Il s’efforce aussi de soutenir les victimes de ces exactions. Entretien avec Ian, l’un de ses membres.
Médias & Gilets jaunes – La grande peur des Versaillais > Si la flambée jaune fut au départ couvée d’un œil attendri par une éditocratie arc-boutée sur le « trop d’impôt tue l’impôt », la soif démocratique des gilets jaunes mit rapidement fin à l’idylle. Un retournement de veste journalistique aussi brutal que révélateur du mépris social.
Dégager les gilets bruns > Il n’est pas à démontrer que la fange nationale-populiste judéophobe la plus décomplexée s’infiltre dans les rassemblements de Gilets jaunes. Parfois, ces militants sont expulsés violemment ; dans certains cortèges ont retenti des slogans « Fachos cassez-vous ! » Mais leur présence répétée ternit l’image de ce mouvement sans garde-fou.
Actualités d’ici et d’ailleurs
Traque de Cesare Battisti – Comme une bête féroce > Arrêté en Bolivie le 12 janvier par la police locale et Interpol, l’écrivain Cesare Battisti a été livré à la police italienne, au mépris des lois sur l’asile et l’extradition. Ramené comme un trophée le 14 janvier, il a été transféré à la prison de haute sécurité d’Oristano, en Sardaigne. Accusé de crimes commis durant les « années de plomb », comment Battisti est-il devenu cet ennemi public jeté en pâture à la vengeance d’État ? Pour CQFD, des amis de Cesare récapitulent la chronique d’un acharnement politico-judiciaire.
Au Brésil, l’extrême droite au pouvoir – « Bolsonaro peut utiliser l’armée de manière dictatoriale » > Comment un ancien militaire fasciste, raciste, sexiste et ultralibéral
a-t-il pu être élu à la tête du Brésil ? Aux yeux du syndicaliste Herbert Claros, le Parti des travailleurs de l’ex-président Lula, qui a déçu les espoirs de justice sociale placés en lui, porte une lourde part de responsabilité. Entretien.
Soudan : #TuTombes – « Le peuple veut la chute du régime » > Depuis le 19 décembre, des rumeurs de la rue soudanaise nous parviennent, faisant état de révoltes dans plusieurs villes ouvrières du nord du pays. Depuis trente ans, le Soudan est sous la coupe du régime d’Omar al-Bachir, l’un des plus « sécuritaires » au monde. Le 20 décembre, le siège du parti au pouvoir est incendié à Atbara, scène jusqu’alors inimaginable. C’est aussi là que tombe le premier martyr, Shaouqi Assadig, âgé de 12 ans. Au sein de la communauté soudanaise exilée à Marseille, l’ambiance est électrique. Entretien avec Mohamed Elnour, du collectif des « Révolutionnaires soudanais et leurs soutiens sur Marseille ».
Dossier « Énergies : les impostures du renouvelable »
C’est une nouvelle passée inaperçue. Fin novembre, alors que la vague Gilets jaunes emportait médiatiquement tout sur son passage, l’État présentait sa feuille de route énergétique pour les dix ans à venir. Une dénommée « Programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE) qui promet un pactole de 70 milliards d’euros pour les énergies vertes. Les premiers pas vers une véritable transition énergétique pour faire face à la crise climatique ?
Pas si sûr. Déjà, parce que comme l’espérait le groupe EDF, à peine moins d’une quinzaine des réacteurs nucléaires seront arrêtés... d’ici 2035. Une façon pour le gouvernement de jouer la montre et de préserver l’industrie atomique à tout prix. « Ce n’est pas une transition que nous propose le gouvernement, mais une stagnation dans l’impasse nucléaire », dénoncera illico le réseau Sortir du nucléaire1.
Par ailleurs, toujours dans cette PPE, Emmanuel Macron et François de Rugy, ministre en charge de l’Environnement et de l’Énergie, ont promis un triplement de l’éolien terrestre et une multiplication par cinq du photovoltaïque. Mais là encore, la Macronie ne jure que par la logique industrielle. Aux manettes de ce juteux business, Engie, ex-GDF Suez, qui s’affiche déjà comme le « leader mondial de la transition énergétique » grâce à son quasi-monopole. La multinationale de l’énergie a en effet déjà planté plus de 750 éoliennes et construit une centaine de parcs photovoltaïque à travers l’Hexagone.
Ces infrastructures, sous le prétexte d’être écologiquement vertueuses, transforment les campagnes en usines à production d’énergie pour des métropoles toujours plus énergivores [page II]. Tant pis si les vastes champs d’éoliennes détruisent des paysages naturels et des espèces d’oiseaux en voie de disparition. Et peu importe si les centrales photovoltaïques stérilisent des hectares de terres sous des tonnes de verre et d’acier. Au sud du Larzac, la commune du Cros envisage ainsi l’installation d’un parc solaire de 400 hectares. Dans le Lot-et-Garonne, à la frontière des Landes, c’est la plus grande « ferme » photovoltaïque d’Europe qui verra bientôt le jour sur 2 000 hectares de terre. L’équivalent de près de 3 000 terrains de football recouverts de panneaux solaires...
Le littoral n’est pas en reste. Le gouvernement vient d’officialiser le développement des six premiers parcs éoliens offshore de France. Trois d’entre eux seront installés par EDF au large des côtes de Fécamp (Seine-Maritime), de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) et du Calvados. Engie, qui a flairé le filon lucratif, en érigera deux en face de Tréport (Seine-Maritime) et de l’île de Noirmoutier (Vendée). Et ce au mépris des débats publics très défavorables au projet. C’est que ces deux parcs de 62 éoliennes chacun enragent les habitants du coin. Notamment les pêcheurs de Dieppe, pour qui ces moulins à vent sont avant tout des machines à fric saccageant une zone de pêche reconnue comme l’une des plus riches de la Manche.
Autre ressource naturelle sacrifiée sur l’autel du renouvelable : la forêt. Depuis quelques années, l’Office national des forêts (ONF) s’est engouffré dans une politique productiviste pour gérer nos vertes futaies avec des méthodes dignes de l’agriculture intensive [page IV]. Recours massif aux herbicides, monoculture, course au rendement, précarisation des forestiers... L’objectif de l’ONF est de rembourser sa dette (publique) monstrueuse tout en fournissant le combustible nécessaire à l’industrie du bois-énergie.
Présentées comme un modèle énergétique écologique, les centrales thermiques qui fonctionnent au bois, à l’instar de celle de Gardanne, en gestation dans les Bouches-du-Rhône, sont pourtant de véritables dévoreuses de forêts réduisant l’arbre à une ressource minière quelconque [page V].
De nombreuses solutions censées décarboner notre économie s’avèrent être ainsi de vrais désastres dès qu’elles franchissent le pas industriel. La méthanisation, qui repose sur la transformation des excréments d’animaux et des végétaux en biogaz, échappe de plus en plus aux mains des paysans qui y voyaient un outil au service de l’autonomie énergétique de leurs fermes2. Le 20 décembre dernier, la Confédération paysanne a ainsi occupé dans la Sarthe un silo à maïs destiné à un méthaniseur. « Cette action vise à dénoncer les dérives de la méthanisation et d’un modèle industriel qui accaparent des terres, gaspillent des productions qui ne servent plus qu’à alimenter des méthaniseurs et non à nourrir des animaux », s’est indigné le syndicat paysan.
Quant aux grands barrages hydroélectriques, qui représentent près de 10 % de la production d’électricité en France, le gouvernement prépare depuis 2018 la privatisation de leur gestion, sous l’impulsion de l’Union européenne. Une mesure de libéralisation qui présage le pire. Car le développement de l’hydroélectricité au renfort d’imposantes infrastructures s’est déjà soldé par des désastres environnementaux sans précédent. À l’image de la Durance, une rivière du Sud-Est dont l’écosystème s’est détraqué depuis qu’elle a été détournée par EDF [page VIII].
Comme le martèlent depuis 2001 les chercheurs et les ingénieurs de NégaWatt3, « une véritable transition repose sur trois piliers fondamentaux : la sobriété énergétique, l’efficacité et le recours aux énergies renouvelables ». Et c’est là que le bât blesse. Pour les gouvernants et les industriels, il est impossible de remettre en cause notre mode de vie énergivore et les intérêts économiques qui le sous-tendent. « Croissance verte » et « écologie industrielle » restent les perpétuels grigris d’une politique énergétique qui ne veut pas entendre parler de sobriété et encore moins de changement radical de société.
Parangon de cette fuite en avant, l’illusion de la voiture « propre » (électrique ou à hydrogène), dont les coûts écologiques restent tout aussi désastreux que ceux des véhicules à pétrole, mais qui permet de perpétuer notre civilisation de la bagnole [page VI].
En attendant, c’est dans une même voiture qui fonce irrémédiablement droit dans le mur que nous sommes tous embarqués. Comme ailleurs en Europe, les émissions de CO2 sont en effet reparties à la hausse en France depuis 2015, du fait de la reprise de la croissance et du prix de l’énergie relativement bas4. Mais qu’importe. Pour Macron, c’est plus le business de la production énergétique qui doit être renouvelable que l’énergie que l’on consomme.
Au sommaire du dossier
Critique des éoliennes – Les campagnes ne sont pas des gisements de vent > À chaque époque ses symboles à décaniller. Don Quichotte avait ses moulins à vent, nous devons faire avec les éoliennes. Le journaliste Grégoire Souchay a publié Les Mirages de l’éolien (Seuil, 2018). Un dépiautage minutieux et politique de ces machines à courants d’air. Interview.
Consommation domestique – Arnaques à l’électricité verte > Moult fournisseurs d’électricité proposent des offres « vertes », laissant croire que leur jus provient de sources d’énergie renouvelable. Greenpeace a mené son enquête… et levé bien des lièvres.
Foresterie intensive – Feu de tout bois ! > Présenté comme la première source d’énergie renouvelable en France, le bois reste une production fragile et limitée. Et polluante ! Prises dans l’étau de l’industrialisation et de la spéculation via le marché carbone, les forêts sont plus que jamais sous la coupe réglée des appétits privés.
Filière bois-énergie – Remplacer le charbon par le bois : « Une bio-mascarade » ! > Afin de limiter le réchauffement climatique, de nombreux États européens s’engagent vers la sortie du charbon. Comme solution durable de remplacement, les industriels proposent le bois. Mais pour les écologistes, cette voie impose « l’industrialisation de la forêt » et présente des conséquences plus graves sur la machine climatique que celles du charbon.
Sous le capot des voitures « zéro émission » – « L’automobile "propre", stade ultime d’une fuite en avant » > Ingénieur centralien, Laurent Castaignède a déserté l’industrie de l’automobile après neuf ans de service. Dans Airvore ou la face obscure des transports (Écosociété, 2018), il retrace l’expansion continue des transports motorisés qu’il considère comme des monstres énergivores et « airvores ». Au-delà des impacts environnementaux et sociaux d’un parc automobile en pleine croissance, l’auteur démonte méticuleusement les dernières innovations en vogue. À l’instar de la « voiture propre », censée être moins polluante et moins consommatrice de carburants. Entretien.
« Biocarburants », vraiment ? – La désastreuse tentation de l’huile de palme > L’huile de palme est critiquée pour son impact sur la déforestation et le climat. Si elle sort peu à peu des assiettes, elle tente de s’imposer dans les réservoirs de carburant. En France, Total veut en accroître les importations de plus de 50 %, pour sa « bioraffinerie » de La Mède. Un projet vivement critiqué, y compris au sein de LREM, mais pas encore enterré.
La face sombre de l’hydroélectrique – La Durance, une rivière sacrifiée > L’hydroélectricité est stratégique en France, au point d’avoir été surnommée « la houille blanche ». Mais son développement, au renfort de grandes infrastructures, ne s’est pas fait sans désastres écologiques. Exemple avec la Durance, rivière provençale en quasi-totalité détournée par EDF depuis les années 1960, sur la promesse d’une prospérité infinie...
Bouquins, images et idées
Photographier au plus près – Marseille, dans les yeux et puis à l’estomac > « Ailleurs, dans des villes moyennes, dans des zones résidentielles, la manière d’habiter le monde et de tenir son corps dans l’espace public n’est pas la même. Cette jeunesse, elle est vivante, vraiment vivante. Elle a une noblesse que je trouve particulièrement visible ici. » Yohanne Lamoulère, amie de longue date de CQFD, vient de publier Faux bourgs, aux éditions du Bec en l’air. Elle y dresse, accompagné de textes d’Alèssi Dell’Umbria, Soly M’Baé, Manu Théron, Sam Karpienia et IAM, le délicat portrait d’une ville fracassée.
Cuisine collective – Le retour des marmitons de la révolte > En septembre 2017 (CQFD n° 157), nous avions laissé l’équipe des auteurs de Cantines sur la promesse d’une réédition de leur « Précis d’organisation de cuisine collective ». Aujourd’hui, c’est chose faite pour continuer à alimenter nos côlons et nos colères.
Roman réaliste – Anars d’Espagne : les années Paname > Dans Dédicaces – Un exil libertaire espagnol (1939-1975), Freddy Gomez raconte les années parisiennes d’anarcho-syndicalistes ayant fui la victoire des troupes franquistes.
Cap sur l’utopie – Grâce à la puissance du désir > Frigoussé par Florent Bussy, un prof de philo « zindigné » (c’est le titre de la revue où il sévit) à qui l’on doit une Critique de la raison automobile sympatoche, William Morris ou la vie belle et créatrice (éd. Le Passager clandestin) nous acoquine avec le principal penseur et tribun rebelle anglo-saxon du XIXe.
Et aussi
Le service public vous soutient – Quand Pôle emploi fricote avec l’industrie du sexe > Lorsque l’État décide de passer un coup de rabot sur les chiffres du chômage, il ne fait pas dans la dentelle. Et autorise même Pôle emploi à dénicher des recruteurs dans les salons de massages érotiques et autres bars à hôtesses. Une façon comme une autre de s’attaquer au chômage de masse.
Et enfin
C’est une photo qui se passe de commentaire. Une manif de Gilets jaunes avec une femme en premier plan. Bonnet phrygien et poing levé, elle porte un morceau de carton avec inscrit dessus : « Le grand débat est ici ». Ici dans la rue, ici sur les ronds-points, ici sur les points de blocage. Que de chemin parcouru depuis la goutte de gasoil ! Qu’est-il arrivé pour qu’en quelques semaines ces agoras périurbaines transforment une colère anti-taxe en un genre de revival de la sans-culotterie de 1789 ? [...].
Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres articles seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui te laisse tout le temps d’aller saluer ton kiosquier ou de t’abonner...
1 « Nucléaire : satisfaction chez EDF, colère des ONG écologistes », Le Monde (27/11/2018).
2 Lire à ce sujet « Méthanisation et cogénération, de faux amis », CQFD n° 168 (septembre 2018).
3 NégaWatt regroupe une association et un institut rassemblant des experts de la question énergétique. Ils démontrent régulièrement comment la France pourrait techniquement utiliser 100 % d’énergies renouvelables en 2050, tout en atteignant la neutralité carbone : Negawatt.org.
4 « Les chantiers urgents de François de Rugy », Alternatives économiques (05/10/2018).
Cet article a été publié dans
CQFD n°173 (février 2019)
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Paru dans CQFD n°173 (février 2019)
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Illustré par Étienne Savoye, Vincent Croguennec, Marine Summercity, Victor
Mis en ligne le 01.02.2019
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6 février 2019, 14:43, par Mgx
Bonjour,
Je ne trouve pas où se procurer le Précis de cuisine collective dont j’ai appris avec plaisir la réédition ! Vous en parlez mais sans préciser il me semble où le trouver, j’ai cherché mais pas d’infos comme ça sur le net, ni sur Quilombo qui avaient édité la première....
Merci !
8 février 2019, 09:50, par chien rouge
Les commandes sont à passer chez ail@riseup.net.