Pacte électrique breton et « modèle agroalimentaire »
Méthanisation et cogénération, de faux amis
Décembre 2010, la Bretagne se voit dotée d’un Pacte électrique. L’enjeu ? Assurer la « sécurisation de son alimentation électrique dans les années à venir », selon le dossier de presse, qui pointe le fait que la région ne produit que 8 % de l’électricité qu’elle consomme.
Ce pacte n’a guère suscité d’opposition (à l’exception d’un projet qui y est lié, la construction par Direct Énergie et Siemens d’une centrale à gaz à cycle combiné de 450 MW à Landivisiau 1). Celles et ceux qui auraient été fondés à porter la critique d’un modèle énergétique contestable se sont trop souvent laissé parasiter par le miroir caricatural que leur tendaient les partisans et promoteurs du pacte.
À en croire ces derniers, et notamment le représentant de Direct Énergie, l’opposition se réduirait ainsi plus ou moins à la formule « Non à tout, oui à rien ». Soucieux de prouver que ce n’était pas le cas, les opposants ont parfois eu tendance à faire dans le compromis, essayant de présenter un visage « responsable ».
Il y a pourtant un angle d’attaque qu’il conviendrait d’exploiter pour remettre en cause les fondements de ce pacte. C’est celui du modèle agricole qu’il accompagne. Il faut ici rappeler que la Bretagne est la première région française en matière de production agricole. Et que la plupart des paysans n’ont eu d’autre choix que de s’engager toujours davantage dans la voie du productivisme à tout crin pour surmonter les crises successives qui ont frappé le secteur. Le prix à payer pour le maintien de ce qui est souvent présenté comme le « modèle agro-alimentaire breton ». « Pour prospérer à partir de l’agriculture, il a fallu depuis longtemps savoir sortir de l’agriculture », résume ainsi Yannick Ogor dans Le Paysan impossible 2. Une tendance lourde, que le pacte électrique breton accompagne, en mettant l’accent sur les choix de production électrique de ces agriculteurs qui œuvrent main dans la main avec des groupes agro-alimentaires.
Pour lutter efficacement contre le projet de centrale, il ne suffit donc pas de se contenter de mener un travail de contre-expertise sur « l’utilité » de cette structure. Mais il convient aussi de mettre en cause ce qui l’accompagne, voire même le cautionne : la production industrielle agricole.
La cogénération, caution du hors-sol
En 2017, la Bretagne a produit près d’un tiers des tomates de l’Hexagone, le plus souvent sous serres, en hors-sol. Et le Finistère se trouve en pointe de cette production, avec le groupe Savéol pour fer de lance (premier producteur français) 3. Le problème, c’est que cultiver des tomates sous le climat finistérien coûte cher en chauffage – pour les producteurs, il s’agit du deuxième poste de dépenses après la main-d’œuvre. Ces serristes, grands consommateurs d’énergie fossile (fioul ou gaz), ont ainsi été identifiés comme des acteurs de la sécurisation de l’approvisionnement électrique breton.
C’est que le pacte électrique breton table sur un potentiel de production de 150 MW via l’installation dans les serres de centrales à cycle combiné au gaz (d’environ 2 MW chacune). Le principe ? Le gaz brûlé entraîne un moteur qui fait tourner un alternateur produisant de l’électricité, la chaleur dégagée servant à chauffer de l’eau (qui elle même chauffe les serres) tandis que le CO2 dégagé est réinjecté dans les serres, favorisant la photosynthèse. Ce qui permet de planter les tomates plus tôt, accentuant la tendance à s’affranchir des saisons.
En 2016, une quinzaine de producteurs de la coopérative Savéol ont mis en place une telle installation. La même année, les communes de Cléder et Plouescat ont été raccordées au réseau de gaz naturel, projet notamment porté par le Syndicat départemental d’énergie du Finistère. Sous couvert de progrès social (« apporter » le gaz naturel à des communes rurales), les deniers publics ont en réalité servi à relier des installations industrielles de production alimentaire au même réseau : il y a trois serres équipées sur ces communes, et deux autres s’apprêtent à l’être. Un tarif avantageux de rachat de l’électricité (fluctuant pour gommer les variations de prix du gaz) assure la rentabilité aux investisseurs : 135 à 150 € par MWh, garantis sur douze ans, permettent d’amortir les deux ou trois millions d’euros nécessaires à une installation. Alors certes, les travaux de la centrale de Landivisiau n’ont pas encore commencé ; mais via son pendant agricole, on peut considérer que celle-ci est déjà en partie construite.
La méthanisation, solution miracle ?
La production alimentaire de masse engendre son lot de nuisances, dont des tonnes de déjections. L’épandage de celles-ci est lourd de conséquences : pollution des cours d’eau, prolifération des algues vertes… Dans ce contexte, la méthanisation est présentée comme un procédé idyllique, qui, grâce à une forme de fermentation bactérienne, permettrait à la fois de produire de l’électricité, d’avoir des formes de cogénération et de produire un fertilisant organique. En réalité, tout ceci permettrait essentiellement de maintenir le statu quo de l’élevage hors-sol, moyennant quelques investissements subventionnés.
Le pacte électrique breton vise une production de 120 MW à l’horizon 2020 (pour la partie « biomasse et méthanisation »). En partie par de petites unités « à la ferme », mais surtout grâce au développement d’unités industrielles. Exemple au pays du Mené : une trentaine d’éleveurs porcins, constatant la fragilité de leurs installations agricoles, ont uni leurs forces pour se doter d’une unité de méthanisation industrielle : Géotexia. L’usine a pour actionnaires principaux ces agriculteurs, regroupés au sein d’une Cuma 4, et entend traiter chaque année 38 000 tonnes de lisiers fournis par ceux-ci, ainsi que 40 000 tonnes de substrats agroalimentaires.
Les lisiers ne présentent qu’un pouvoir méthanogène faible. Mais l’État finance leur recyclage par une augmentation de cinq centimes par KWh d’électricité produite (à condition qu’ils représentent 60 % des déchets). Comme leur utilisation nécessite des coproduits, certains agriculteurs développent spécialement des cultures à haute valeur énergétique. Agriculture et industrie agroalimentaire s’associent également pour valoriser leurs déchets, en s’appuyant sur ceux des communautés de communes (tontes, résidus de cantines scolaires ou de maisons de retraite.) Ce qui permet à l’administrateur de Géotexia, l’agriculteur-éleveur Dominique Rocaboy, de nier servir de caution à l’extension de l’élevage hors-sol : « Si un jour, il n’y a plus de déjections animales à traiter, le système fonctionnera quand même : notre outil sera toujours utile aux collectivités locales ou aux agro-industries. »
La méthanisation vient également alimenter le mythe de l’agriculture affranchie des saisons : la cogénération pourrait, selon les projets, être utilisée pour chauffer des serres, faire sécher la fenaison ou à des fins de chauffage central. Enfin, la normalisation du digestat (à haute teneur en azote) ouvre des débouchés sur le marché des fertilisants, surtout s’il s’agit d’en exporter dans les régions productrices de céréales.
Un choix politique
Ces deux exemples ne sont pas isolés, d’autres sources d’énergies étant également largement promues. Par exemple, l’énergie solaire – peu à peu, des panneaux photovoltaïques recouvrent les toits des bâtiments d’élevage. Mais la cogénération et la méthanisation sont les seules à relever d’un choix politique dans le cadre du Pacte d’avenir pour la Bretagne de 2013. Soit un ensemble de mesures étatico-régionales censées solutionner la crise du « modèle agroalimentaire breton », ainsi que satisfaire aux revendications des Bonnets rouges.
C’est cela qu’il faut retenir : les discours louant les énergies renouvelables, qu’il s’agisse de cogénération ou de méthanisation, servent d’abord à cautionner et sauvegarder un modèle de production alimentaire de masse.
1 Voir l’entretien « Gaz à tous les étages », publié dans le CQFD n° 161 (janvier 2018).
2 Le Paysan impossible – Récits de lutte, livre publié aux Éditions du bout de la ville en 2017.
3 À propos des stratégies de communication et de vente de Savéol, se reporter à la chronique « Le Cri de la tomate » publiée dans le n° 16 d’Article11 – titrée « In the pocket », et mise en ligne le 02/01/15.
4 La Coopérative d’utilisation de matériels agricoles (Cuma) est une structure juridique de type coopératif qui permet à un groupe d’au moins quatre agriculteurs d’acquérir du matériel.
Cet article a été publié dans
CQFD n°168 (septembre 2018)
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Paru dans CQFD n°168 (septembre 2018)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 30.10.2018
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Dans CQFD n°168 (septembre 2018)
30 octobre 2018, 20:16
Bonjour, On peut aussi penser différemment : https://solagro.org/images/imagesCK... méthanisation bien pensée est un levier de l’agroécologie. Cordialement.