Implantation d’une centrale dans le Finistère

Gaz à tous les étages

À les croire, la Bretagne aurait besoin d’une énorme centrale à énergie fossile (le gaz naturel), et Landivisiau serait l’endroit idéal pour l’accueillir. Un projet censément justifié par la nécessité d’éviter des coupures massives d’électricité1 et d’en finir avec « l’assistanat énergétique » de la région2. Ce discours martelé par les pouvoirs publics, Guénolé le conteste. Entretien avec un opposant à un autre grand projet inutile dans le grand Ouest.

Cela fait près d’une trentaine d’années que ce projet de centrale figure dans les cartons – où en est-il, exactement ?

« Il n’y a toujours pas de date de début des travaux pour cette centrale à cycle combiné au gaz naturel, même s’ils sont tous les six mois annoncés pour demain. Jusqu’à présent, tous les recours intentés contre le projet ont été perdus. Mais il en reste encore deux sur lesquels statuer. Le premier devant le conseil d’État, contre l’arrêté Batho autorisant la construction. Et le second en cour d’appel administrative, sur le dossier ICPE (Installation classée protection de l’environnement).

Les recours ont largement contribué à freiner le projet. Ainsi que l’auto-saisine du dossier par la Commission européenne, qui tiquait sur la question du financement par l’État d’un opérateur privé. Il faut dire que le subventionnement public est plus que conséquent : on parle ici de la bagatelle de 40 millions d’euros annuels sur vingt ans… Un cadeau indispensable à la faisabilité du projet : plusieurs centrales à gaz ont récemment été arrêtées parce qu’elles n’étaient pas rentables. En mai, la Commission a finalement délivré un avis favorable, à condition que Direct Énergie ne revende pas d’électricité à Enedis (filiale distribution d’EDF), pour respecter le principe de libre concurrence. Direct Énergie s’est alors associée avec Siemens pour lancer la Compagnie Électrique Bretonne (CEB), chargée de construire et exploiter la centrale. Un tour de passe-passe qui permettra la revente d’électricité de la CEB à Direct Énergie sans que Bruxelles ne proteste. Bingo ! »

Et où en est la mobilisation sur le terrain ?

« Pour être honnête, c’est un peu poussif en ce moment. Les plus récentes manifestations n’ont pas rassemblé plus de quelques centaines de personnes – on est loin des grandes mobilisations passées. Autour de 2010, plusieurs associations de protection de l’environnement (qui formeront le collectif Gaspare3, également composé d’individus et d’élus), avait pourtant bien lancé le mouvement, en initiant de grandes manifestations aux quatre endroits alors potentiellement concernés par l’implantation de la centrale. Derrière le slogan ‘‘ Non à la centrale. Ni ici, ni ailleurs ’’, on retrouvait des gens de tout le Finistère. Mais depuis, le soufflé est retombé.

Gaspare a également commandé à un bureau d’étude l’élaboration d’un scénario alternatif pour la production électrique bretonne4. Avec l’idée de faire du lobbying auprès des élus de la région pour modifier le Pacte électrique breton de 2010, qui intègre le projet de centrale. De son côté, l’association ‘‘ Landivisiau doit dire non à la centrale ’’ s’est chargée des recours juridiques tout en chapeautant l’opposition sur le terrain – des modes d’action très différents, mais qui ont bien cohabité.

Si la mobilisation a faibli sur le Finistère, elle reste très forte à Landivisiau et dans ses alentours. Le slogan ‘‘ Ni ici, ni ailleurs ’’ est affiché partout – à tel point qu’on ne s’interroge plus vraiment sur ce qu’il signifie. Et beaucoup de gens se bougent, portés par une même opposition franche au projet. Pour autant, diverses sensibilités écologistes se côtoient, dans la lutte comme au sein de l’association. Certains relient le combat contre la centrale à celui de l’île de Sein pour l’autonomie énergétique. D’autres se retrouvent dans les idées d’Alternatiba. Et d’autres encore essayent de construire des ponts avec les différents collectifs en lutte dans l’ouest de la Bretagne (contre l’extraction de sable ou les projets miniers) pour esquisser une dynamique commune. Cette volonté de convergence, ou du moins de coordination inter-luttes, s’affirme de plus en plus depuis une manifestation sur ce thème à Landivisiau en novembre 2015. »

Par Etienne Savoye.

Comment se positionnent les élus face au projet ?

« Il existe un collectif d’élus opposés à la centrale, mais il se contente de prendre rendez-vous avec les chefs de cabinet des différents ministres de l’Écologie. Par contre, les élus municipaux qui défendent le projet se démènent pour le faire aboutir. Avec deux arguments principaux : la création d’emplois et le risque de black-out hivernal. Ils s’appuient aussi sur le fait que la construction de la centrale figure dans le Pacte électrique breton, signé par Jean-Yves Le Drian en 2010. Mais elle n’en est qu’un élément parmi d’autres : ce pacte prévoit aussi un déploiement massif des énergies renouvelables, avec l’objectif de porter à 3 600 mégawatts la puissance de production issue des énergies vertes. Soit quatre fois plus qu’aujourd’hui. C’est vu comme positif, donc beaucoup d’élus rechignent à remettre en cause ce pacte. »

La position de l’État a-t-elle évolué depuis l’entrée de Nicolas Hulot au gouvernement ?

« Les partisans du projet insistent sur le fait que disposer de ce type d’unité de production à gaz serait le moyen le plus fiable pour sortir du nucléaire, en attendant que les énergies renouvelables montent en puissance. Mais au-delà des discours sur la lutte contre le réchauffement climatique, le projet de centrale s’inscrit surtout dans le cadre de l’ouverture du marché de l’énergie. Ainsi que dans la volonté de multiplier les sites de production. Je ne crois pas que Nicolas Hulot y changera grand-chose, sinon démobiliser certains opposants. Les masques ne sont pas encore tombés et beaucoup de gens croient toujours qu’il va ‘‘ faire avancer la cause écologique ’’. »

Encadré : Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain

Le contentieux entre la Bretagne et les tentatives d’implantation de centrales (notamment nucléaires) ne date pas d’hier. Les nucléocrates ont sans douté péché par naïveté et/ou condescendance en pensant que la région se mettrait au garde-à-vous à cause de ses liens avec l’activité militaire – marine nationale, arsenaux et entreprises d’armement. Une terre ingrate, en proie à l’exode rural et habitée par quelques ploucs et bigotes, ça rentrerait comme dans du beurre, se sont-ils sûrement dit. Grave erreur. Lorsque le projet d’un réacteur nucléaire à Plogoff sort des cartons en 1978, il soulève une vaste opposition populaire5. Et quand les camions de gendarmes mobiles déboulent deux ans plus tard, ils sont reçus par les cailloux et quolibets lancés par les hommes comme par les femmes, les ados comme les mamies, les retraités de « la Royale » comme les militants écolos. Objectif du déploiement d’uniformes ? Protéger deux camionnettes transportant les cahiers de l’enquête publique ouverte aux Plogoffites. En pure perte : personne ne noircira ne serait-ce qu’une ligne. Mais la postérité des luttes contre les grands-projets-inutiles-imposés-d’en-haut retiendra par contre les images de ce jeune flic fondant en larmes quand une femme lui demande si sa mère sait qu’il est là. Ou de cet autre pandore, en pleine déroute, dégringolant du véhicule qu’il a réussi à atteindre in extremis.

L’histoire, non encore achevée, de la centrale de Brennilis fournit une triste illustration de ce qui se passe quand la lutte n’est pas victorieuse. Car la Bretagne n’a pas complètement échappé à la frénésie atomique. Au cœur des landes désolées des Monts d’Arrée, terrain de chasse de l’Ankou6, Brennilis a ainsi accueilli en 1967 le seul réacteur nucléaire à eau lourde exploité en France. Construit en secret et pourvoyeur de nombreux emplois locaux, il est resté en activité moins de vingt ans. Son démantèlement complet devrait, lui, prendre près de 50 ans – fin prévue en 2032. D’ici là, le césium et le tritium auront eu tout le temps de contaminer les nappes phréatiques. Des militants et experts indépendants ont déjà recensé, malgré la loi du silence, de nombreux décès suspects parmi les employés et les riverains. Et les déchets résultant du démantèlement, pour lesquels il n’existe pas encore de solution de stockage, seront dangereux pour des milliers d’années. Nukleel nann trugarez !


1 Essentiellement causées par des chutes d’arbres sur les lignes en période de tempêtes.

2 En 2016, la Bretagne ne produisait que 14 % de l’énergie qu’elle consommait.

3 Soit : Garantir l’avenir solidaire par l’autonomie régionale énergétique.

4 Réactualisé régulièrement sur le site du collectif.

5 Lire Des Pierres contre des Fusils, Nicole Le Garrec, 1980.

6 L’Ankou, « Les aventures de Spirou et Fantasio », Jean-Claude Fournier, 1976.

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