Bonnes feuilles de « Criminels climatiques »

Le Bangladesh face au colonialisme charbonnier chinois

C’est un pays déjà durement touché par la montée des eaux liée au dérèglement climatique. Au Bangladesh pourtant, des entreprises chinoises construisent d’énormes centrales à charbon dont la moitié de la production s’envole littéralement en fumée, le réseau électrique n’étant pas assez développé pour l’absorber.
Illustration de Gwen Tomahawk

Extrait de Criminels climatiques, livre de Mickaël Correia paru le 13 janvier à la Découverte, et longuement évoqué dans cet entretien.

« Pour exporter à travers le globe son capitalisme fossile, China Energy et ses comparses industriels peuvent s’appuyer sur la Belt and Road Initiative (BRI), aussi dénommée “nouvelles Routes de la soie ”. Se référant à l’axe utilisé pour le commerce de ce tissu jusqu’au XVe siècle entre la côte pacifique chinoise et l’actuelle Turquie, cette stratégie de l’État chinois à mille milliards de dollars est considérée par les experts internationaux comme l’initiative géopolitique majeure du XXIe siècle. Elle vise depuis 2013 à asseoir la puissance commerciale de la Chine en développant des infrastructures de transport reliant l’empire du Milieu au Moyen-Orient ainsi qu’à l’Asie centrale et du Sud. Et telles de Petits Poucets climaticides, les entreprises énergétiques chinoises sèment leurs centrales à charbon le long de ces Routes de la soie.

En 2018, plus d’un quart des centrales thermiques en cours de construction ou en projet en dehors de Chine était le fait de pollueurs climatiques chinois. Réparties dans une vingtaine de pays à travers le globe, ces usines carburant au charbon représentent une capacité électrique globale de 102 GW, soit l’équivalent, en termes d’émissions de CO2, de ce que recrache chaque année une puissance économique comme le Canada.

L’Asie du Sud est le terrain de jeu favori de ces pyromanes du climat. Une centrale à charbon sur deux y est bâtie avec l’aval de Pékin. En Indonésie, sur l’île de Sumatra, China Energy possède depuis 2011 une centrale thermique de 300 mégawatts alimentée directement par une mine de charbon à ciel ouvert. L’ensemble du hub énergétique fossile est entouré de forêts tropicales classées, abritant des espèces en danger critique d’extinction tel le tigre de Sumatra – dont il ne subsiste plus que quelques dizaines d’individus. […] »

Révolte anticharbon

C’est toutefois au Bangladesh que l’expression “criminel climatique ” prend toute son ampleur. En véritable VRP de son industrie fossile, [le président chinois] Xi Jinping, lors de sa visite à Dhaka en octobre 2016 pour défricher une nouvelle Route de la soie, est parvenu à refourguer au pays quatre installations thermiques. La première d’entre elles, la centrale de Payra, a été mise en service en mai 2020. Gavée au charbon importé d’Indonésie, elle se situe à six kilomètres à peine des fragiles mangroves de Chalitabunia et non loin des Sundarbans, un écosystème de marais unique, classé patrimoine mondial de l’Unesco et réserve de biosphère depuis 2001. En outre, l’incursion du dirigeant chinois a fait du Bangladesh la première cible des compagnies climaticides de l’empire du Milieu. Au total, 14 GW de capacité y sont en construction ou dans les cartons1, soit un parc de centrales thermiques à venir qui éructerait à lui seul les gaz à effet de serre émis chaque année par toute l’Autriche.

Une funeste aberration. Le Bangladesh est en effet l’une des nations les plus vulnérables et les plus touchées par le dérèglement climatique. À cause de la montée des eaux, 700 000 Bangladais perdent chaque année leur foyer2. D’ici 2050, le pays pourrait perdre 20 % de ses terres, occasionnant 25 à 30 millions de réfugiés climatiques3.

Le Bangladesh est en effet l’une des nations les plus vulnérables et les plus touchées par le dérèglement climatique. À cause de la montée des eaux, 700 000 Bangladais perdent chaque année leur foyer.

Les trois autres centrales estampillées Route de la soie sont encore au stade de la préconstruction. L’une d’entre elles a été l’objet en 2016 d’un vaste soulèvement populaire de la part de 3 000 villageois de Banshkhali, menacés d’expulsion par l’implantation de l’usine thermique. Au cours d’une manifestation contre la future installation, cinq d’entre eux ont été tués par les forces de l’ordre. “C’est le plus grand nombre de décès lors d’une révolte anticharbon depuis le meurtre de six personnes à Jharkhand, en Inde, durant deux manifestations en avril 2011 4”, se désole Ted Nace, fondateur de Global Energy Monitor.

Mais la contestation sociale a été vaine. La centrale climaticide de Banshkhali demeure toujours dans les tuyaux. Pis, malgré ces violences policières, trois nouvelles unités de production électrique au charbon sont actuellement à l’étude au Bangladesh. Sur proposition d’entreprises fossiles chinoises, bien sûr. »

Diplomatie de la dette

“Le Pakistan et le Bangladesh ont tous deux de graves problèmes de surcapacité, qui ne cessent de s’aggraver, s’alarmait en mai 2020 Simon Nicholas, analyste financier pour l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis. Pourtant, ils ont l’intention de poursuivre la construction et le financement de nouvelles centrales au charbon par la Chine, bien qu’ils soient déjà pénalisés financièrement par les paiements de capacité électrique [rémunérations d’un État à une centrale afin de garantir sa sécurité d’approvisionnement en énergie]5. un chiffre suffit à illustrer ce que signifie “de graves problèmes de surcapacité ” : fin 2019, seuls 43 % de l’électricité provenant de l’ensemble des sites de production énergétique du Bangladesh étaient consommés. Alors que l’État bangladais débourse chaque mois à la centrale au charbon de Payra près de 20 millions de dollars de paiements de capacité, la moitié de l’énergie que peut produire la méga-infrastructure chinoise n’est pas distribuée aux habitants, le réseau d’électricité du pays étant encore sous-développé6.

En résumé, via les nouvelles Routes de la soie, les criminels climatiques chinois ont pu ériger dans les pays pauvres d’Asie d’énormes centrales au charbon complètement surdimensionnées et inadaptées au contexte social et économique de ces régions. Quant au fardeau financier des paiements de capacité aux entreprises fossiles, à l’instar de China Energy en Indonésie, il entraîne les nations asiatiques les moins riches sur la voie du surendettement. “Ces pays, et d’autres, instaurent à la fois une dépendance à long terme à l’égard des importations de combustibles fossiles aux tarifs volatils, et une dépendance à l’égard de la Chine par le biais de la copropriété des centrales au charbon7, souligne Christine Shearer, de Global Energy Monitor. Selon cette ONG, l’empire du Milieu détenait en 2019 70 % de la dette extérieure de l’Indonésie. En avril 2020, le gouvernement du Pakistan a pour sa part demandé à Pékin des conditions de remboursement plus souples vis-à-vis de ses centrales à charbon, espérant qu’un taux d’intérêt plus bas et un calendrier de remboursement plus long pourraient réduire ses paiements de capacité8.

Sous promesse d’offrir de l’électricité bon marché aux pays en voie de développement, les Routes de la soie ont déployé une “diplomatie de la dette” à l’arrière-goût de charbon contre les populations les plus pauvres de la planète tout comme contre le climat. Alors qu’il faudrait que la consommation de charbon diminue de 80 % d’ici 2030 pour contenir le réchauffement planétaire, les firmes fossiles chinoises verrouillent les pays en première ligne de la crise climatique dans un avenir fortement carboné. “Ces centrales récentes sont l’un des plus grands défis auxquels nous devons faire face, s’inquiète Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). En Europe ou aux États-Unis, les centrales ont quarante ans en moyenne. En Asie, on trouve plus de 1 400 GW de centrales qui ont onze ans de moyenne d’âge. Elles sont loin d’être à la retraite. C’est le talon d’Achille de la bataille pour le climat9.” »

Mickaël Correia (extrait de Criminels climatiques)

1 « China at a crossroads : continued support for coal power erodes country’s clean energy leadership », Institute for Energy Economics and Financial Analysis (janvier 2019).

2 « Groundswell : preparing for internal climate migration », Banque mondiale (2018).

3 « Face au changement climatique, le Bangladesh n’est pas prêt », Le Temps (22/03/2018).

4 « Bangladesh coal plant protests continue after demonstrators killed », The Guardian (06/04/2016).

5 « IEEFA Asia : Chinese coal projects continue as existing power plants stand idle », ieefa.org (03/05/2020).

6 Ibid.

7 Cf. note n° 1.

8 « Pakistan requests China to ease payment obligations in CPEC power projects », The Economic Times (16/04/2020).

9 « La consommation de charbon continue d’augmenter », Le Monde (18/12/2018).

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CQFD n°205 (janvier 2022)

Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…

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