Dossier : Au grand bazar de l’armement

Attendu depuis janvier 2016, voici enfin en ligne l’intégralité du dossier "Au grand bazar de l’armement" du CQFD n°139.
Intro, sommaire et liens vers les articles.

Du civil au militaire et vice et versa

Par Baptiste Alchourroun.

Ces derniers temps, la frontière entre l’industrie de la guerre et celle du temps de paix, entre maintien de l’ordre civil et opérations guerrières, tend à devenir de plus en plus poreuse.

En Palestine, mais aussi à Ferguson, Diyarbakir, Villiers-le-Bel, Notre-Dame-des-Landes ou Calais, les mots pour dire la répression déploient autant d’écrans de fumée. On évoque des balles en caoutchouc dur, des Teasers à impulsion électrique ou des grenades lacrymogènes comme autant d’armes «  non létales  », «  sublétales  » ou «  à létalité réduite  ». Autrement dit, officiellement non mortelles ou sinon presque par hasard, question de dosage. Rien de nouveau, la guerre joue sur les mots. Le marché du contrôle social se gargarise d’euphémismes comme «  gestion démocratique des foules  » ou «  armement rhéostatique  » pour masquer sa capacité politico-technique à graduer l’impact sur les victimes, de la blessure paralysante à la mort instantanée.

Aujourd’hui, business is business, civil et militaire se marient allègrement. Mais ne nous leurrons pas, la guerre et l’après-guerre ont toujours constitué deux marchés complémentaires. Pour mémoire, la trajectoire d’un Louis Loucheur, qui mène du ciment armé à l’armement «  béton  ». Connu pour avoir donné son nom à une loi sur le logement, Loucheur a surfé sur la guerre de 14-18 comme sur la reconstruction. Deuxième fortune du BTP, bombardé ministre de l’Armement, il en profite pour réorienter son business industriel vers les obus et les wagons militaires. Cela lui vaut d’être qualifié de «  profiteur de guerre  » par une partie de la presse, puis de «  profiteur de paix  » quand il devient ministre délégué à la Reconstruction industrielle en 1918. La Société générale d’entreprises de Louis Loucheur s’est d’ailleurs tout naturellement intégrée dans l’empire Vinci en 2000. Les marchands de canons savent se fondre dans des marchés civils pour prolonger leurs profits tout en redorant leur blason.

La dualité, une vertu économique : Les exemples de perméabilité du civil et du militaire pullulent sur le marché des nouvelles technologies. Must du moment  : les «  fertilisations croisées  », les «  clusters  » et autres regroupements d’entreprises du même secteur. Ainsi, début décembre, Alain Rousset, président du conseil régional d’Aquitaine, se vantait d’accompagner plus de 80 PME «  duales  » – du civil vers le militaire et inversement  : «  Une entreprise tient bien quand elle est sur ses deux jambes : ici, nous parlons du civil et du militaire.  » Et toutes les régions s’y mettent. Quant au ministère de la Défense, il consacre 11 millions d’euros au financement de 450 thèses et autres recherches à retombées militaires (radars, nanotechnologies pour la vision de nuit et la protection de cellules solaires, etc.), et un peu civiles… Même plan d’attaque avec les subventions octroyées par le Rapid (Régime d’appui PME pour l’innovation duale), mis en place par la Direction générale de l’armement et la Direction générale des entreprises dépendant de Bercy.

Bien entendu, la dualité entre le civil et le militaire pour la filière aéronautique et spatiale, comme pour les multinationales, les PME ou les start-up, est vantée comme «  facteur de compétitivité économique  ». Jusqu’ici, le transfert de technologies se faisait du militaire, qui finançait l’innovation, vers le civil, qui assurait les volumes et baissait les coûts de production. Désormais, les états-majors et les patrons œuvrent pour intensifier les flux dans les deux sens et travaillent à blanchir des activités liées à l’industrie de la mort. Ainsi Thales, grand groupe d’électronique spécialisé dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre, fabrique des drones militaires et développe parallèlement des marchés civils  : passeport biométrique, gestion des visas Schengen et des fichiers de migrants, ou encore cryptage des données d’entreprises. Thales équipe les métros de Londres, du Caire, de Doha ou de Hong-Kong et fournit des radars civils et militaires à la Bolivie.

Tout cela peut sembler fort cynique, mais si nous nous endormons sur nos lauriers, nos concurrents – USA, Israël, Russie, Allemagne – ne nous feront pas de cadeau, eux qui n’ont pas autant de préventions humanistes que notre douce France  ! Ainsi se dessinent les contours d’une industrie et d’une technologie du contrôle des foules et de la pacification globale, devenues enjeux économiques prioritaires et modèles de gouvernance appliquée. Avec l’infini mérite d’acclimater le peuple à un état d’exception permanent. C’est la guerre, on se tue à vous le dire  !

Nicolas de la Casinière

Marchands de canons : une diplomatie vend-la-mort > Alors que la France célèbre sa deuxième place sur le podium mondial des ventes d’armes, 
retour sur la diplomatie économique à l’œuvre, entre nouvelle Françafrique institutionnalisée, antiterrorisme et prétendue mobilisation contre le chômage.

Toulouse : un complexe dual, mi-civil, militaire > La Ville rose et son agglo bichonnent un tissu industriel qui met la guerre au cœur de la paix.

Armes « non létales » : Genèse d’une imposture > L’enfer serait pavé de bonnes intentions. Les armes (dites) non létales aussi. Leurs inventeurs ont souvent nourri de candides espérances. Celles d’un avenir radieux, moins violent et sanguinaire. Cochon (armé) qui s’en dédit.

Logique marchande de guerre : « Chaque intervention militaire est une campagne publicitaire » > Entretien croisé avec Mathieu Rigouste et Rodrigo Nabuco de Araujo, respectivement chercheurs en sciences sociales et en histoire, 
sur les enjeux financiers de la guerre.

États-Unis : Les flics américains, de vrais petits soldats > Résultat d’une militarisation constante de la police depuis plus de vingt ans, les condés états-uniens se comportent comme une armée d’occupation. Même Obama en convient…

Israël : La pacification, c’est la guerre permanente > « Il y a un pays qui combat le terrorisme depuis 50 ans et qui n’a pas créé l’état d’urgence, pas créé de lois d’exception, qui n’a jamais dérapé, c’est Israël », déclarait Julien Dray sur le site lemondejuif.info, le 13 décembre dernier. Les attentats de Paris furent pour certains le moment d’en appeler à s’inspirer du modèle sécuritaire israélien. Mais n’est-ce pas déjà le cas ? Israël est devenu la source de référence en doctrines 
et de technologies militaires, car soumises à l’épreuve du feu.

Technologies : Le zingue du futur dézingue sa facture > « Ordi volant » et nid à bugs, le prestigieux avion yankee F-35 est un désastre économique. 
Mayday mayday.

Bonus : Au grand bazar de l’armement => Des brèves armées !

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