Jeunes, prenez garde à vous !
On dirait le SNU
Au garde-à-vous sous le cagnard, sur les marches de la mairie d’Évreux, les cadets et cadettes du SNU (Service national universel) tombent comme des mouches. Un, deux, trois... vingt-six malaises en une heure et demie de cérémonie. Les symptômes : hyperventilation, stress et autres crises de tétanie. Voici mis hors-service le quart des ados réquisitionnés le 18 juin dernier pour inaugurer un De Gaulle en bronze et faire la propagande du SNU. Discipline et rigueur obligent, les galonnés ont maintenu les jeunes rescapés sous le soleil de plomb. La souffrance a sans doute des vertus éducatives... Pour la préfecture, ce « léger coup de chaud » était dû « à une forme d’émotion liée au caractère solennel de la cérémonie, au cours de laquelle les appelés devaient entonner La Marseillaise ». Sans blague.
Debout à 6 h 30, la bleusaille en herbe a dû assister tous les matins au lever du drapeau, en entonnant l’hymne national au garde-à-vous, avant d’enchaîner parcours du combattant, raids commando en forêt, modules « armée et mémoire », lecture de témoignages de soldats, « soirée-débat démocratie & courage », visite d’un cimetière militaire, d’une centrale nucléaire et autres moments d’exaltation patriotique forcée – avec un peu de découverte botanique et de secourisme, pour ne pas faire que dans le kaki. Au programme également : des séances de pompes et d’abdos, histoire de ne pas oublier où l’on est.
Promesse du candidat Macron, le SNU ressemble à une resucée du service militaire abandonné en 1997, imposé cette fois à de plus malléables garçons et filles de 16 ans. Il s’agit de profiter de la fragilité des jeunes ados, traversant une période où « les préjugés ne sont pas encore formés », comme le note avec gourmandise le rapport des députées Marianne Dubois (LR) et Émilie Guérel (LREM).
Chacun y projette ses fantasmes : lutter contre « le tarissement du recrutement » dans l’armée de métier pour Daniel Menaouine, général en chef du projet ; « disposer en cas de crise d’un réservoir mobilisable complémentaire à la Garde nationale » et « retrouver une forme de creuset national » du côté d’Emmanuel Macron ; « identifier ces jeunes qui sont les plus éloignés des valeurs de la République, les accompagner et empêcher toute forme de radicalisation », d’après le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
À terme, le SNU concernera l’intégralité de chaque classe d’âge, soit quelque 800 000 adolescents tous les ans : des lycéens, des apprentis et des décrocheurs scolaires à « remettre sur le droit chemin » selon le général Menaouine, qui vante « l’expertise de l’armée en termes de savoir-faire, de discipline, d’attitude ».
La soumission ne suffisant pas, le programme prévoit également d’inculquer les vertus du capitalisme. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation, a promis » l’entrée de l’éducation financière dans le module “autonomie” du SNU » sous l’égide d’un « Comité stratégique d’éducation financière » et de la Banque de France. Tout va bien.
Selon les dernières informations publiées sur le site internet du gouvernement, la généralisation du SNU pourrait se faire dès 2024. Le dispositif sera découpé en trois phases.
La première ? Le « séjour de cohésion obligatoire » : deux semaines en internat sous les drapeaux. La deuxième ? Une « mission d’intérêt général obligatoire » : deux semaines de stage auprès d’une structure publique ou d’une association. La troisième phase sera facultative : cet « engagement citoyen volontaire » durera au minimum trois mois. Selon le gouvernement, « il pourra prendre la forme d’un service civique, d’un engagement dans les réserves opérationnelles de la gendarmerie et de l’armée ou d’un bénévolat de longue durée auprès d’une association ».
Au printemps 2019, quelque 2 000 jeunes volontaires ont donc joué les cobayes pour les grands débuts du SNU, encore au stade de l’expérimentation. Lors de la première phase (internat sous les drapeaux), ils ne risquaient pas de ruer dans les brancards : 31 % avaient des parents militaires, alors que les bidasses ne représentent que 1,3 % de la population. S’y ajoutaient les élèves de seconde en bac pro sécurité et d’autres qui, malgré des parents désespérément civils, rêvent d’une carrière en uniforme. Avec un tel public, pas de rejet des punitions de groupe : plusieurs gamins contraints à des pompes, abdos et tours de terrain la nuit, pour un seul ado surpris les mains dans les poches (Morbecque, Nord) ou un autre qui parle après l’extinction des feux (Orcines, Puy-de-Dôme).
À l’automne, pour la seconde phase (« mission d’intérêt général »), certains ados ont choisi d’enfiler pendant deux semaines la tenue léopard, comme Julie, 16 ans, fille de militaires, enrôlée dans un peloton d’infanterie : dans une vidéo de propagande, on a pu la voir porter le fusil mitrailleur et apprendre à charger les munitions.
La saison 2, dont la campagne de recrutement a débuté en janvier, vise à rameuter 30 000 volontaires dans les mois qui viennent : leur « séjour de cohésion » est prévu pour le début de l’été. L’encadrement sera assuré par des militaires : un ancien colonel de la Légion étrangère ici, un lieutenant-colonel au rebut de l’armée là, assistés d’enseignants et d’animateurs fournis par plusieurs grandes associations d’éducation populaire qui y ont vu un marché (d’autres refusent de participer à ce cirque nationaliste). En mai 2019, un rallye « leadership et cohésion », mené par des instructeurs de la Marine nationale, a formé les 150 premiers encadrants. Où ça ? À l’école d’officiers de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan). Le gratin des gratinés.
Le coût du dispositif, lui, reste très flou : « 2 à 3 milliards d’euros par an » selon le candidat Macron, 6 milliards selon un rapport du Sénat en 2017, 1,6 milliard d’après le sous-ministre Gabriel Attal.
Lancé sans que le Parlement ne soit consulté, le projet n’enthousiasme guère les galonnés, inquiets tant pour la réduction de leur budget que par les éventuels bad buzz : « Certains grands chefs redoutent même le retour de l’antimilitarisme, qui a quasiment disparu depuis la fin du service national obligatoire en 1996 », rapporte le très conservateur quotidien L’Opinion (28/06/2019). Et de citer un responsable inquiet : « Si l’on rend trois millésimes de jeunes antimilitaristes, l’armée professionnelle est morte. » Chiche ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°185 (mars 2020)
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Paru dans CQFD n°185 (mars 2020)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Yohanne Lamoulère
Mis en ligne le 30.03.2020
Dans CQFD n°185 (mars 2020)
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