« Le paradis à l’envers »

CQFD a rencontré une jeune Comorienne de 22 ans, Maria, débarquée régulièrement à Marseille en 2004 avant d’être confrontée aux galères de papiers, de travail, d’argent... Elle nous offre son témoignage, quelque peu décalé par rapport aux discours actuels sur l’immigration...

LONGTEMPS MINORITÉ invisible et silencieuse, les 80 000 Comoriens de Marseille sont passés sous les feux des projecteurs quand deux drames de la misère les ont frappés : Ibrahim Ali abattu par des colleurs d’affiche du FN en 1995, et l’avion- poubelle de la Yemenia crashé dans l’océan Indien en 2009. Cette communauté, nombreuse et très soudée culturellement, a été l’objet de toutes les convoitises de la part du pouvoir municipal, et l’on a vu Gaudin en tournée électorale revêtir l’habit traditionnel. L’on a vu aussi le consul honoraire des Comores dans la cité phocéenne choisi directement parmi les bons blancs du sérail UMP local. Installés dans les quartiers jouxtant le Vieux-Port, les Comoriens ont été progressivement relégués dans les cités des quartiers Nord même si beaucoup d’entre eux, des hommes en majorité, travaillent dans les restaurants du centre-ville. Mais, sans plus tarder, laissons la parole à Maria :

par Fabcaro

« Je suis arrivée à Marseille quand mon père, un ancien militaire vivant en France depuis longtemps, m’a déclarée afin que je puisse obtenir le visa. Ma mère, elle, continue à vivre aux Comores. Pour moi, la France, c’était le paradis, je suis venue voir le paradis... Mais, en fait, c’est le paradis à l’envers ! Ici, je n’ai trouvé que la misère. » On se dit qu’elle exagère un peu, là. Pourtant, elle enfonce le clou : « C’est vrai que les Comores, c’est un pays pauvre, qui est encore plus pauvre avec la crise. Moi, je viens dans un pays riche, mais je ne sais pas si j’ai envie de rester ou de partir ! J’ai commencé par travailler comme garde d’enfants à domicile pendant un an et puis après, plus rien. Je me suis retrouvée dans la rue pendant trois mois car je ne pouvais pas aller chez mon père, on ne s’entend pas assez bien. Il m’a juste déclarée pour que je puisse venir. » Mais la cinquième puissance économique mondiale, ça fait un peu rêver, quand même ? Elle poursuit : « Aux Comores, à Mbachilé, un petit village près d’Iconi1, j’étais commerçante à domicile, je vendais des vêtements achetés à Dubaï. J’étais bien, j’avais de l’argent et un toit, même s’il n’y avait pas l’électricité. Mais j’ai tout vendu pour venir, alors je ne peux plus y retourner. Et puis, je suis en France, dans un pays riche, je dois pouvoir envoyer de l’argent au pays ! Je le faisais quand je travaillais mais maintenant, je ne peux plus, et ma mère ne comprend pas. Là-bas, les gens croient qu’en France, tu peux retirer de l’argent dans le mur ! Ici, c’est obligé que tu aies de l’argent ! Moi-même, je n’y croyais pas quand on me disait que c’était dur : à la télé, aux Comores, on voit qu’en France, tout brille. Aux Comores, quand tu n’as pas de sous, tu peux aller chez des amis, tu peux avoir à manger. Ici, tu deviens forcément un clochard, surtout si tu es jeune et sans-papiers. Quand tu es jeune, tu n’as pas droit au RSA. Quand tu n’as pas de papier, tout devient très compliqué. Même si tu obtiens un stage, tu voles le bus pour y aller et tu risques de te faire attraper par la police. Quand tu n’en peux plus, c’est normal que tu voles un sac, tu arnaques une banque ou tu fais un peu dans la drogue. Les gens ne réfléchissent pas... Il vaut mieux donner du travail aux jeunes qui arrivent ! Ici, la misère, c’est à cause de gens qui ne pensent qu’à eux. Penser qu’à soi dans un pays pauvre, c’est normal, parce que tu n’as rien à partager. Mais ici ? »

Bon d’accord, la France n’est plus un pays de cocagne, mais les gens continuent de lutter pour leurs acquis sociaux... « La manifestation, cela ne sert à rien. Sarkozy, il fait ce qu’il veut, même faire monter au dernier étage des vieux de 65 ans et plus pour des travaux de peinture. Moi, j’ai un problème de santé, mais je ne suis pas prise en charge à cause de mon dossier d’aide médicale qui traîne. Je suis obligée de tout payer avec mes sous, en économisant sur la nourriture. Mon copain m’aide un peu et je touche une petite rémunération avec le programme de remise à niveau pour lire et écrire en français. J’ai enfin tous mes papiers en règle, aussi. »

Tout va s’arranger, alors ? « Pourtant, je suis plutôt malheureuse en France, j’ai peu de contact avec les autres Comoriens, je préfère rester seule. Si tu vas dans la famille, tu es obligée de te marier. On te donnera des bijoux, de l’argent, mais tu vas tout dépenser... Et après, tu seras obligée de rester avec ton mari toute ta vie ? Avant de présenter mon copain à mon père, je préfère attendre pour voir si on s’entend bien. De toute façon, je suis la plus jeune de mes trois sœurs, et c’est seulement l’aînée qui est obligée de se marier. Mon rêve, ce serait de les faire venir, avec ma mère, pour leur montrer ce qu’est vraiment la France. »


1 Deuxième ville la plus peuplée de l’île de Grande Comore après la capitale, Moroni.

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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