Droit du sol & identité française

« La liberté de circulation est un impératif d’égalité »

À l’heure où la droite repart à l’assaut du droit du sol, il est urgent de rappeler que les droits de chacun·e ne devraient pas être corrélés à la nationalité. On en parle avec deux juristes du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigré·es.
Photo de Louis Witter

Le 6 février, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte, portée par Les Républicains. Gérald Darmanin, illico rejoint par son compère Bruno Retailleau, s’est empressé de saluer cette « grande avancée » et demande depuis à ce que « les Français puissent trancher » la question pour carrément réformer la Constitution : « Le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol. »

Le droit du sol ? Ne nous y trompons pas. Débattre des conditions d’octroi ou non de la nationalité, c’est toujours un prétexte pour s’étendre sur la sacro-sainte identité française. Et diviser la classe laborieuse en deux : celles et ceux qui mériteraient d’être français·es contre les autres, jugé·es trop étranger·es pour s’intégrer. Loin de servir la cohésion sociale, la question identitaire est toujours agitée pour diriger la colère sociale vers un supposé ennemi intérieur. Mais aussi pour contrôler les immigré·es et leurs descendant·es en accentuant leur sentiment d’illégitimité à vivre ici et en les contraignant à montrer patte blanche pour être considéré·es comme des citoyen·nes lambda.

On en parle avec Claire Rodier et Solène Ducci, juristes au Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es) qui milite pour l’égal accès aux droits, sans considération de citoyenneté. Et pour la liberté de circulation.

La nationalité est-elle aujourd’hui le moyen le plus sûr pour avoir le droit de vivre sur le sol français dans les mêmes conditions que les autres ?

« D’une certaine façon, oui. Jusqu’à la “loi Darmanin” du 26 janvier 2024, les personnes installées depuis très longtemps en France, ou y ayant des attaches familiales étroites, étaient en général titulaires d’un droit de séjour quasi permanent, et en principe inexpulsables. Mais ce n’est plus le cas : désormais, toute personne étrangère, quel que soit son statut, peut se voir refuser le renouvellement de son titre de séjour et se faire expulser si elle est considérée comme une “menace pour l’ordre public” ou soupçonnée de non-respect des “principes de la République”. Ces notions très floues font peser une menace sur tout le monde. Avoir la nationalité française apporte une sécurité juridique supérieure : on ne craint plus d’être expulsé.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la droite et l’extrême droite s’attaquent au droit du sol, qui permet, à certaines conditions (et sans aucune automaticité, contrairement à ce qu’on entend souvent dire), d’acquérir la nationalité quand on est né en France. »

« Le droit du sang rattache les individus à leur lignage, leur origine. Il légitime les discours ségrégationnistes »

Le débat sur l’octroi de la nationalité par droit du sol, et donc sur la « légitimité » ou non à être français·e, est racialisant. Comment le dénoncer ?

« En rappelant pourquoi le droit du sol a été instauré et comment il est attaqué depuis. Pendant une bonne partie du Moyen-Âge, l’ancêtre du “Français”, le “sujet du roi de France” était celui ou celle né·e et résidant sur son territoire. La période révolutionnaire entérine dans la Constitution de 1793 ce “droit du sol”, qui est avant tout le moyen de jouir des nouveaux droits politiques. C’est le Code civil de 1804 qui instaure une seconde voie (privilégiée) pour acquérir la nationalité, le “droit du sang” : “Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français”. Comme le dit Karine Parrot, l’idéologie charriée par cette conception de la nationalité “rattache les individus à leur lignage, leur origine. Elle légitime durablement les discours ségrégationnistes qui décrivent la Nation comme un club fermé, une famille à protéger1.

Aujourd’hui, droit du sang et droit du sol coexistent. Mais ce dernier est régulièrement altéré. Depuis le début du XIXe siècle, une personne née sur le sol français n’acquiert plus automatiquement la nationalité que si l’un de ses parents est également né en France. On parle de “double droit du sol”. Au début des années 1990, la droite veut carrément le supprimer, au motif que la nationalité ne doit pas résulter du seul fait d’être né en France, mais d’une “véritable adhésion”. Ce sont les mêmes arguments qui sont mobilisés aujourd’hui.

Autrement dit, sauf si on a des parents de nationalité française, on ne pourrait acquérir celle-ci que par la voie de la naturalisation, qui est soumise à une condition d’“assimilation à la communauté française” et sert déjà de fondement à des pratiques institutionnelles discriminatoires. Sans compter que la jurisprudence y a ajouté des exigences économiques : disposer de ressources suffisantes, voire justifier d’une bonne “insertion professionnelle”. Autant de critères qui éliminent les plus pauvres, les personnes inaptes au travail, et toutes celles qui travaillent sous contrat précaire.

Ce tri entre bons et mauvais candidats s’est petit à petit imposé en France, contaminant le droit de la nationalité pour en réalité restreindre l’immigration. Se battre contre la suppression du droit du sol n’est donc qu’une partie du combat à mener pour l’égalité. »

C’est pour cela que le Gisti défend la liberté de circulation ?

« Oui, parce que la nationalité, qui définit par le hasard de la naissance qui est étranger·e et qui ne l’est pas, est un privilège. Ses conséquences sont d’autant plus graves qu’avec des politiques migratoires qui se durcissent, elle est devenue un instrument clef de la fermeture des frontières : seul·es les ressortissant·es de certains États – les plus riches – sont dispensé·es de visa et autorisé·es à circuler librement. La mobilité des autres est soumise aux diktats de ces mêmes États, qui organisent une sorte d’apartheid mondial en allant chercher, ou en laissant entrer irrégulièrement, la seule force de travail dont leurs économies se nourrissent. La revendication des libertés de circulation et d’installation répond au contraire à un impératif d’égalité.

« Transformer la fonction des frontières pour qu’elles ne soient plus des barrières militarisées mais la simple délimitation d’un espace citoyen de délibération »

Sans impliquer la suppression de toute régulation étatique en matières économique et sociale, la liberté de circulation doit être le levier permettant de transformer la fonction des frontières, pour qu’elles ne soient plus des barrières militarisées, mais la simple délimitation d’un espace citoyen de délibération.

La reconnaissance de ces libertés doit aller de pair avec le renforcement de l’État social, fragilisé par une série de dispositifs libéraux dont fait partie l’ouverture contrôlée des frontières liée aux seuls besoins des économies du Nord, au mépris des droits des habitantes et habitants du Sud2. »

Propos recueillis par Livia Stahl

1 Karine Parrot, Étranger, Anamosa, 2023.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°239 (mars 2025)

Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.

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