Échec scolaire
Billy Elliot
« Monsieur, nous les gays on les trucide ! » Fin de journée, la classe est quasi vide mais les quelques élèves qui s’y trouvent sont déchaînés et s’entraînent mutuellement dans des diatribes homophobes. « C’est pas humain ! Et si on les tue tous, l’homosexualité, ça existera plus ! » Merde, la classe est hilare. Et rien ne semble vouloir stopper l’emballement, pas même moi qui insiste pour qu’ils arrêtent sans trouver aucun écho. Nauséeux, je change de tactique et les interroge : « Pourquoi vous les haïssez à ce point ? » Des bribes de réponses surgissent : « Mon père il m’a dit, si je suis gay il me renie », « Moi, il m’a dit qu’il me tuait ! – Et c’est normal ? – Oui, on est des hommes, on a un honneur à défendre. »
La discussion glisse vers les valeurs masculines : « Moi avec mon père on se dit jamais qu’on s’aime car justement on est pas GAY ! » Dommage non ? « C’est normal entre hommes ! Moi, j’ai jamais fait un câlin à mon père ! » Un dernier raconte, moins certain d’être d’accord : « Hier, mon petit frère il dansait, mon père l’a obligé à arrêter… » C’est triste, les papas homophobes font des petits homophobes. Et sûrement une flopée d’autres figures comme Bassem, youtubeur condamné à huit mois de prison avec sursis pour propos homophobes en 2020 et adulé par plusieurs jeunes de la classe : « Lui c’est pas une tapette monsieur ! »
Pour ne pas être exclu, s’en prendre au « pédé » qui « transgresse » la masculinité en tout point, c’est s’assurer une place d’honneur chez les « mecs »...
Afin d’éviter moi-même de les haïr, je rationalise : pour ces jeunes adolescents de quartiers défavorisés, défendre ces opinions c’est peut-être d’abord une provocation logique à l’école et aux profs identifiés comme petits bourgeois proLGBT ? Ou alors une condition pour exister dans le groupe ? Dans un article de 2012 intitulé « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel » la sociologue Isabelle Clair explique que « la première cause d’exclusion pour les garçons, c’est qu’on puisse douter de leur virilité ». Pour ne pas être exclu, s’en prendre au « pédé », qui « transgresse » la masculinité en tout point, c’est alors s’assurer une place d’honneur chez les « mecs »...
Le problème c’est que cette construction hétérobancale fait des dégâts. Selon un rapport de SOS homophobie en 2024, les agressions verbales et physiques contre les jeunes LGBTQ+ sont fréquentes. Si les élèves sont à l’origine de la majorité de ces agressions, sur 94 cas rapportés, 35 % proviennent des enseignant·es et la direction... Bref, les hommes, ça doit pas danser ? Au prochain cours, on regarde Billy Elliot, et on convie le corps enseignant !
Cet article a été publié dans
CQFD n°239 (mars 2025)
Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.
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Paru dans CQFD n°239 (mars 2025)
Par
Illustré par Mona Lobert
Mis en ligne le 21.03.2025
Dans CQFD n°239 (mars 2025)
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