Échec scolaire

Au boulot les jeunes

Loïc est prof d’histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d’une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu’on s’est planté ?

« Ennuyeux, pénible, fatigant, dur physiquement et mentalement  ». Les élèves de CAP rentrent tout juste de stage. En début de cours, je leur demande d’écrire rapidement comment s’est passée l’expérience. Comme à chaque fois, les mêmes réponses, à quelques exceptions près. Certains ont adoré : « Franchement meilleur stage ! J’étais tout le temps dehors et en déplacement chez les clients !  » Sur leur feuille, les autres pointent la dureté du travail : « On portait des panneaux tout le temps, j’avais hyper mal au dos et si je me plaignais, je me faisais défoncer  » ; ou plus souvent encore l’ennui : «  Je n’ai fait qu’observer pendant un mois. Je n’avais pas le droit de toucher les outils parce que le maître de stage n’était jamais là. Du coup, j’allais me cacher dans les toilettes  ». Pour accueillir les stagiaires dans l’entreprise, aucune qualification particulière de formateur n’est attendue, ni même de connaissance fine du boulot. La fonction est bien souvent occupée par le patron de la boîte, qui n’a parfois de connaissance du métier que le volet administratif. « Le chef, il passe en coup de vent. Il juge mon travail mais il n’y connaît rien, il est toujours dans les bureaux  », raconte un autre. Et les 35 heures ne sont pas toujours respectées : « Moi je bossais de 10 à 18 heures sans pause, on mangeait après  ». Et quelques fois, avec des horaires de nuit à la clef : « Pendant une semaine, sur un chantier où il fallait aller vite, on finissait à 23 heures  », m’explique un élève en maçonnerie. Des patrons qui exploitent des enfants donc, et n’hésitent pas à en faire des petites mains interchangeables. « Avec lui c’est simple, on est quatre stagiaires. On se réunit chaque matin et il décide qui vient et qui ne vient pas en fonction de ses besoins !  » raconte un autre jour un élève en plomberie.

Qu’en pense l’institution ? Silence radio en haut lieu. Chaque réforme du lycée professionnel encourage davantage le rapprochement entre l’école et l’entreprise avec, depuis 2023, une rémunération de quelques centaines d’euros par stage payé par l’État, pain béni pour le patronat1. Et les profs ? Si nombre d’entre eux dressent des « listes noires » d’entreprises véreuses vers lesquelles ils refusent d’envoyer leurs élèves, d’autres encouragent l’exploitation avec un discours pro-patronal. Un jour, l’un d’entre eux criait sur un élève : « Un patron il fait ce qu’il veut ! S’il ne veut pas être à l’atelier, il n’y est pas. Il vous offre du travail !  » Satisfait, il ironisait : « C’est vraiment l’air du “pédagogisme”, il faudrait écouter le besoin des élèves maintenant  ». Précisément, cela empêcherait peut-être de détruire le corps et le moral des ados, au profit d’une formation attentive et émancipatrice. À son retour, un élève résume : « En fait monsieur, l’école c’est dur, mais le stage c’est pire ! Je suis content de vous revoir !  »

Loïc

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Lire « On limite la possibilité pour ces jeunes de faire des études sup’ », CQFD n°227, février 2024.

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CQFD n°247 (décembre 2025)

Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.

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