Sur la sellette (chronique judiciaire)

Comme toujours

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Illustration de Jérémy Boulard Le Fur
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2025

Après un mois et demi de détention provisoire, Hocine F. comparaît pour conduite sans permis, usage de stupéfiants et violences sur un représentant des forces de l’ordre.

Le président résume le dossier : des policiers en patrouille dans un parc du quartier de Bellefontaine voient un jeune homme qui roule en scooter à vive allure et sans casque. Dans le procès-verbal, ils déclarent avoir tout fait dans les règles : « Ils se sont placés en face, ont fait de grands gestes avec leur lampe torche et vous ont demandé de vous arrêter à haute et intelligible voix. Mais ils affirment vous avoir vu accélérer et percuter volontairement l’un d’entre eux. »

Hocine F. a ensuite perdu le contrôle de son véhicule et chuté. Le policier percuté explique « être parvenu, malgré la vive douleur, à se relever et à plaquer le prévenu au sol ».

Le prévenu maintient ce qu’il a dit en garde à vue : il ne les a pas vus, parce qu’il conduisait tout en étant sur son téléphone, et ce sont les policiers qui l’ont fait chuter d’un coup de matraque. Il se plaint par ailleurs de la violence de l’interpellation.

Le président improvise une maxime – « Quand on se met en situation de se faire interpeller, on s’expose à des désagréments » – et enchaîne avec des questions sur la consommation de drogue du prévenu :

– « Vous avez été détecté positif à la cocaïne et au THC.

– Je ne prends pas de cocaïne, je ne prends que du shit !

– Elle n’est tout de même pas arrivée toute seule dans votre sang, cette cocaïne ! »

Le prévenu continue de nier, le président n’y croit pas une seconde, surtout avec ce casier ! Sept condamnations quand il était mineur, des vols, de la détention de drogue, des outrages et des violences contre les forces de l’ordre.

L’avocate du policier rappelle à quel point son entorse au genou a généré « des conséquences dramatiques » : « Il a eu des difficultés à s’occuper de sa famille et de ses enfants, il doit aller voir le kiné. Et surtout, son absence a compliqué le travail de ses collègues ! »

Au début de ses réquisitions, le procureur rectifie l’erreur du président : « Le prévenu n’a pas été testé pour la cocaïne, il a seulement été testé pour le cannabis. »

Pour le reste, la situation lui semble sans ambiguïté : « Les témoignages des policiers sont clairs, précis et concordants. » Il demande quinze mois de prison, dont cinq de sursis probatoire, et le maintien en détention pour les dix mois restants.

L’avocate de la défense remet en cause la version policière : « S’il a touché le policier, ce n’est pas intentionnel. On nous parle de la parole de deux policiers, mais c’est un binôme, qui parle d’une même voix – comme toujours. Les policiers étaient équipés de ces fameuses caméras GoPro, mais, une fois de plus, elles n’étaient pas allumées… »

Hocine F., 19 ans, est condamné à un an de prison et maintenu en détention. Il devra aussi payer au policier une provision de 800 euros en attendant l’expertise médicale complémentaire ordonnée par le président pour réévaluer les dommages subis.

La Sellette

Retrouvez d’autres chroniques sur le site : lasellette.org

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CQFD n°239 (mars 2025)

Dans ce numéro, un dossier « Vive l’immigration ! » qui donne la parole à des partisan·es de la liberté de circulation, exilé·es comme accueillant·es. Parce que dans la grande bataille pour l’hégémonie culturelle, à l’heure où les fascistes et les xénophobes ont le vent en poupe, il ne suffit pas de dénoncer leurs valeurs et leurs idées, il faut aussi faire valoir les nôtres. Hors dossier, on s’intéresse aux mobilisations du secteur de la culture contre l’asphyxie financière et aux manifestations de la jeunesse de Serbie contre la corruption.

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