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Qui veut éteindre Radio Blackout ?


paru dans CQFD n°76 (mars 2010), rubrique , par Andrea Bottalico, Juliette Volcler
mis en ligne le 24/04/2010 - commentaires

Sur le site de Radio Blackout s’affiche la date de péremption que voudraient lui donner les autorités italiennes : le 15 mars, il lui restera officiellement deux semaines. Parce qu’une radio libre, à Turin, ça dérange – surtout quand elle se permet de soutenir les étrangers, notamment sans papiers, et de relayer la lutte contre les centres de rétention.

RADIO BLACKOUT [1] est une radio de lutte créée en 1992 pour que celles et ceux qui n’ont jamais la parole puissent la prendre. Elle naît au sein de La Panthère,un mouvement étudiant d’occupation des facs qui parcourt l’Italie à la fin des années 80 et au début des années 90. Notamment liée au milieu des squats et des centres sociaux, elle se définit comme « sujet révolutionnaire et moyen de communication », rien de moins. Elle se veut autogérée (les prises de décisions sont collectives, sans distinction entre ceux qui décident et ceux qui mettent en pratique) et elle est entièrement autofinancée : ni pub ni subventions, mais des concerts de soutien et des souscriptions.

Cette indépendance, qui se traduit sur les ondes par une critique sociale radicale, n’est pas du goût des barons locaux. La mairie de Turin, à qui la radio avait arraché une convention d’occupation pour ses studios,a décidé que Blackout ne cadrait pas avec les projets d’aménagement du quartier. La radio, elle, se sent très bien là où elle est et n’a, de toute façon, pas les moyens de payer un loyer au prix du marché – mais la ville lui demande de quitter les lieux depuis fin novembre, et la menace d’expulsion. C’est qu’il faut pacifier un peu les parages avant les élections régionales qui se préparent également de ce côté-là des Alpes. Avant, aussi, la traditionnelle Ostention du Saint-Suaire [2] prévue au printemps, un grand pèlerinage catholique qui draine, les rares années où il se tient, quelques millions de touristes. Et puis rien ne doit faire obstacle au projet de construction de la ligne grande vitesse Lyon-Turin dans le val de Suse : les voix discordantes des No-TAV [3],qui s’expriment sur l’antenne de Blackout, sont priées de la mettre en veilleuse.

Au cas où Blackout n’aurait pas compris le message, la répression a pris le 23 février une forme plus immédiate, avec la perquisition de ses studios [4], l’arrestation de trois de ses rédacteurs, l’assignation à domicile de trois autres personnes, dont un membre de la radio, et la mise sous séquestre d’ordinateurs et d’archives de l’antenne, dont la diffusion en streaming a été interrompue pendant plusieurs heures. Tout cela dans le cadre d’une enquête visant les actions de l’Assemblée antiraciste de Turin, particulièrement active dans l’opposition aux centres de rétention,et qui se réunit parfois dans les locaux de la radio. La solidarité avec les sans-papiers, ça ne va pas franchement dans le sens de la politique de l’immigration que met en œuvre le gouvernement italien – le climat général est plutôt à la chasse aux étrangers, comme à Rosarno récemment [5]. Mais c’est certainement une simple coïncidence si le magistrat qui instruit l’enquête contre l’Assemblée antiraciste, M. Padalino, est connu pour ses prises de position xénophobes et sa promotion d’un projet de loi proposant de relever les empreintes digitales de tous les étrangers…

« Association de malfaiteurs », donc, les manifs devant le CIE (Centre d’identification et d’expulsion, équivalent de nos CRA) de Turin, les occupations de la CGIL (la Cégète locale) ou de la Croix-Rouge,accusées de complicité avec la machine à expulser. « Association de malfaiteurs », le pourtant vivifiant jet de merde dans le resto chic Il Cambio, pour gâcher le repas des rupins pendant que les retenus étaient en grève de la faim. « Association de malfaiteurs », l’opposition à la Ligue du Nord, la solidarité avec les retenus, la diffusion de leurs revendications. « Association de malfaiteurs », les infos transmises à l’antenne ou par SMS pour prévenir de contrôles d’identité. L’État italien s’est trouvé un ennemi public, le « milieu anarchiste insurrectionnaliste », pour mieux criminaliser les luttes et éviter qu’elles ne fassent des émules.

Blackout n’entend pas se laisser intimider, moins encore bâillonner : elle appelle à la solidarité,à écrire à Luca Ghezzi, Andrea Ventrella, Fabio Milan, les trois rédacteurs emprisonnés [6], et à diffuser l’information [7]. Le 27 mars prochain, à minuit, plusieurs radios italiennes interrompront leurs programmes pour passer un communiqué de Blackout. Comme ils disent : « Spegni la censura, accendi Blackout ! » (« Éteins la censure, allume Blackout ! »)


Notes


[1Qui émet à Turin sur le 105,250 MHz et en streaming sur www.radioblackout.org.

[2La présentation du tissu qui aurait gardé une empreinte du corps du Christ, quoi, béotien !

[3Le TAV étant, tu l’auras deviné, un TGV.

[4D’autres perquisitions ont eu lieu à Turin, Mantoue, Trente et Cuneo.

[5Où des sans-papiers africains ont été blessés à coups de fusils ou de barres de fer, et renversés par des voitures. Lire CQFD n°75.

[6Via Pianezza 300, 10151 Torino, Italie.

[7Une émission de Radio Galère avec des rédacteurs de Radio Blackout est notamment téléchargeable sur sonsenluttes.net.



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Par Andrea Bottalico


Par Juliette Volcler


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