Paix sociale à Longjumeau
Robinson n’est pas seul
L’ORDRE RÈGNE À LONGJUMEAU (Essonne). Au pied des tours du quartier Sud, qui concentrent 50% de la population sur moins de 20% du territoire, tout est en place. Pas une structure d’accueil pour les enfants. La seule maison de quartier, fermée un samedi sur deux, ne propose que des activités payantes, catégorisées par âge et souvent consuméristes. Les jeunes supportent, à quelques exceptions près1, d’incessants contrôles de police. La mairie envisage l’installation de caméras de vidéosurveillance et la rénovation de l’éclairage urbain pour un coût de 900000 euros. Les associations, lorsqu’elles se voient attribuer une misérable subvention, se doivent de participer à la communication municipale, comme ce sera le cas en juillet 2010 à l’occasion de l’étape du Tour de France.
L’ordre règne. Mais voilà que soudain une horde d’enfants armés de craies prennent d’assaut les réservoirs d’eau,cuves de béton à l’architecture autoritaire. Les gamins ont tôt fait d’en recouvrir la grisaille par des dessins multicolores et autres considérations graphiques sur « l’Amour » et « la Liberté ». Rapidement, la mairie est alertée par les sycophantes de service, affublés de la dénomination « citoyens-relais », terme de novlangue pour désigner les délateurs. Et les foudres de Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM),mairesse de Longjumeau, secrétaire générale adjointe de l’UMP,secrétaire d’État à l’économie numérique, s’abattent en recommandé avec accusé de réception sur les instigateurs de cet inadmissible attentat : à savoir ceux qui ont fourni les craies.Que des enfants puissent s’exprimer dans l’espace public, n’est-ce pas anti-pédagogique ? Ne seraient-ils pas mieux scotchés derrière quelques écrans d’ordinateurs afin d’appuyer la fameuse économie numérique dont NKM est en charge au gouvernement ? Sans doute s’agit-il là d’une pollution intolérable aux yeux de cette valeureuse écologiste sarkozyste… Ici, l’auteur du livre Tu viens ?2 ne fait pas dans les susurrements érotiques. Les coupables sont réprimandés et ordre leur est donné de faire disparaître au plus tôt les traces de ce crime intolérable,ce dont la pluie s’est d’ailleurs promptement chargée.
Mais qui sont les odieux dealers de craies, cette antenne locale de l’ennemi intérieur ? Ils se nomment Cultures Robinson, une association d’éducation populaire qui, elle, s’investit concrètement pour le quartier, en s’appuyant sur les principes de la pédagogie sociale inspirés par Freinet, Korczak, Freire… Plus de cent familles viennent participer, gratuitement et sans conditions, à des ateliers de rue, de jeux, lecture, jonglerie, cuisine, peinture… Deux jardins, l’un potager et l’autre de plantes médicinales, ainsi qu’un verger et un rucher sont gérés par l’association et les habitants du quartier, qui se partagent la production selon les besoins de chacun. Cultures Robinson travaille aussi à la création d’une crèche pendant que, chaque mois, tout ce monde se retrouve pour des repas de quartiers et faire la fête
ensemble. Pour Yacine3 (6 ans), « l’association c’est un truc trop bien. Je viens ici parce que je m’ennuie à la maison ». Yasmina4 (10 ans), elle aussi fuit l’ennui : « On n’a rien à faire chez nous, on galère. » Julien5 (16 ans) participe aux activités « pour sortir un peu d’une prison, faire autre chose ». Quant à Hassan6 (45 ans), il « aime bien travailler en équipe, rencontrer des gens ». Catherine7 (69 ans), elle, ne dit rien. Elle est sourde et muette, vit seule et vient tous les jours de la semaine.
Après plusieurs années de réclamations assidues, la mairie avait fini par accorder en février 2009, du bout des doigts, un local, à condition qu’il soit partagé avec d’autres associations plus ou moins fantomatiques, et cela malgré l’existence d’autres locaux vides et inutilisés. Mais voilà que,au mois de novembre dernier, NKM, invoquant des détériorations nécessitant des travaux de réhabilitation, décide l’expulsion des Robinsons. Pourquoi ? Ces quelques traces de peinture effacées depuis d’un coup d’éponge ? Ces outils mal rangés suite à une période d’intense activité ? Il est vrai que la mairie n’était, jusque-là, jamais confrontée à tous ces signes d’occupation régulière et d’activité collective sur le quartier.
Et c’est contre un mur que bute l’association lorsqu’elle tente d’amorcer le dialogue. Les courriers restent lettre morte et NKM refuse toute discussion. Contacté à cinq reprises par CQFD, le service com’ de la mairie « est en communication »… Réaction des participants et habitants du quartier. Le petit Yacine n’aimerait pas « qu’ils enlèvent le local, c’est bien de faire de la peinture ». Julien considère que « sans l’asso, ça serait comme un silence de mort, un truc sans vie ». Hassan trouve « scandaleux que la mairie cherche à mettre des bâtons dans les roues de l’association alors qu’elle devrait l’aider ». Catherine ne dit toujours rien. Et la résistance s’organise. Des pétitions circulent. Les délaissés des politiciens se mettent à faire de la politique. Les patates germent, les abeilles s’activent, pendant que la NKM, élue avec à peine 39 voix d’avance, affirme dans le gratuit Direct8 du 29 octobre 2009 « qu’il faut pouvoir hurler, se révolter ». On l’imagine déclarant cela en se massant la fesse gauche, probablement meurtrie par les pincements qu’on distribue généreusement lors des séminaires, conclaves et autres sauteries jet-set.
1 Suite au jet de quelques pierres sur une patrouille de police, dans la nuit du 13 novembre, trois jeunes ont été interpellés.
2 Tu viens ?, Gallimard, octobre 2009.
3 Prénom modifié.
4 Prénom modifié.
5 Prénom modifié.
6 Prénom modifié.
7 Prénom modifié.
Cet article a été publié dans
CQFD n°76 (mars 2010)
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Paru dans CQFD n°76 (mars 2010)
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Mis en ligne le 09.05.2010
Dans CQFD n°76 (mars 2010)
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