Les brèves du n°138
État d’urgence dans la sous-traitance
20 novembre 2015, neuf heures du matin, hôtel Adagio à Marseille. Une dizaine de femmes de chambre et leurs soutiens tapent sur des casseroles, chantent des slogans « Il faut payer, frottez, frottez ! » et tiennent le siège pour obtenir qu’on requalifie leurs emplois en CDI. Les bougresses ne s’en tiennent pas là, elles veulent qu’on leur paye leurs heures travaillées. Une chorale militante chante en mouvement comme l’adagio, mais ce n’est pas du goût de l’hôtel. Le raffut, ça fait fuir les clients.
Patricia Gomes, Portugaise employée au Massilia, un hôtel du 8e arrondissement, et syndiquée CNT SO, raconte son combat de l’année passée (voir CQFD, n° 123 juin 2014). « Je ne suis plus harcelée. Je l’étais physiquement et moralement. » Ses heures de travail ont été augmentées à sa demande et « ils ont commencé à payer des heures effectuées ». Les managers maltraitants, véritables chiens de garde, ont été mutés dans un autre chenil. « Il faut quand même surveiller le patron. »
Camille, la juriste du syndicat, avant de se fâcher avec le directeur d’Onet, société de nettoyage bien connue, raconte que les femmes de chambre sont en fait employées par la boîte d’intérim Axxis qui est sous traitante d’Onet, lui même sous-traitant d’Adagio. Cocasse et pratique : Onet s’est déchargée de la gestion de ses salariés en intérim par le biais d’une délégation des ressources humaines au bénéfice d’Axxis. Une parfaite organisation de la précarité qui plairait aux Macrons et aux autres farcis. Axxis fait aussi dans le nucléaire, métier à forte tension. Françoise, CNT, lit au mégaphone le récit de cette précarité.
« Onet malhonnête, Adagio c’est chaud », a résonné durant deux bonnes heures aux oreilles des clients. Les femmes promettent de revenir car la lutte a payé dans les autres hôtels de Marseille. Leur grève est suspendue le soir même, après que la direction a accepté de négocier. Chantez, les patrons n’aiment que le silence des coffres.
Christophe Goby
Bobo de comptoir
Vendredi 13 novembre au soir, enfermés dans un bar de Ménilmontant, rideaux baissés, des photographes gèrent leur angoisse en continuant à boire des coups, et les discussions vont bon train. Une jeune femme réalise soudain la gravité de la situation : « Putain, mon appartement va plus rien valoir du tout. » Paris outragé ! Paris brisé ! La bulle immobilière assassinée !
Otan pour moi
Une drôle de blague
Éric Zemmour a visiblement un sérieux goût pour la déconne. Il déclarait sur RTL le mardi 17 novembre qu’« au lieu de bombarder Raqqa, la France devrait bombarder Molenbeek », quartier de Bruxelles d’où sont originaires certains des terroristes du 13 novembre. La station a tenu à indiquer que c’était du « second degré », et a précisé que « l’objet de la chronique d’Éric Zemmour était de montrer que les bombardements français en Syrie ne servaient à rien tant que les frontières intra-européennes ne seraient pas rétablies ». Merci pour la traduction, même à force, on ne parle pas encore le Zemmour couramment.
Wauquiez rouvre les camps
« Je propose qu’on rétablisse à Cayenne un centre de détention qui permette d’isoler ces fous furieux », s’excite le très droitier Nicolas Dupont-Aignan après les attentats du 13 novembre. Placer les individus fichés S – c’est-à-dire ceux qui représenteraient un danger pour la sûreté de l’état – dans « des centres d’internement anti-terroristes spécifiquement dédiés », préconise Laurent Wauquiez, secrétaire général de Les Républicains, avant d’ajouter : « Ce ne sera pas Guantanamo, car on ne torturera pas ». Ou peu. Ou pas exprès.
Père Benoît, gros benêt
Le père Hervé Benoît, un curé de la basilique de Fourvière, à Lyon, a été démis de ses fonctions pour avoir mis dans le même sac bourreaux et victimes quelques jours après les attentats de Paris : « Regardez les photos des spectateurs quelques instants avant le drame. Ces pauvres enfants de la génération bobo en transe extatique […], ce sont des morts vivants. Leurs assassins, ces zombis-haschischins sont leurs frères siamois. » L’enfer, ce n’est pas les autres. L’enfer, c’est lui.
Clin d’œil de Tunisie
Guillotine format 4x3
Le message, inscrit en lettres blanches sur fond noir sur un panneau de 4x3 mètres situé entre La Seyne-sur-Mer et Six-Fours-les-Plages (Var), est des plus clairs : « Monsieur le Président, changeons la loi, la mort pour les terroristes et leurs complices. » Cette revendication d’un autre temps – pourtant affichée le 19 novembre dernier –, on la doit au taulier de la société Maci Publicité, propriétaire du panneau. Mais nous ne tomberons pas dedans, et contiendrons cette furieuse envie de pendre les publicitaires avec leurs cravates.
Sweat terroriste
Délio, 21 ans, portait le 14 novembre dernier (2015) un sweat à étoile rouge où était écrit « Contre le capitalisme et le racisme ». Ce qui n’eut pas l’heur de plaire aux flics qui l’ont contrôlé à la station de métro Gallieni, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), d’après La Marseillaise du 23 novembre. « Il ne faut pas porter ça en ce moment. […] L’état, c’est le capitalisme, donc c’est un message contre l’état », aurait déclaré un génie à képi. Se frottant à la verve policière, Délio aurait recueilli ceci : « Les petites faces de merde comme toi, on a hâte de pouvoir les arrêter sans raison, les petites faces de pine, les petites faces de shiteux comme toi. » Et qu’est-ce qui est sorti de la lampe ? L’état d’urgence, bien sûr.
ça s’en va et ça...
Pelloux, docteur ès sécurité
« Quand on voit des pays qui vivent avec le terrorisme larvé, les États-Unis ou Israël, ces pays ont changé leur façon d’être, déclarait Patrick Pelloux, médecin urgentiste et ex-collaborateur de Charlie Hebdo sur RMC le 15 novembre dernier. À New York, il y a des numéros d’urgence partout dans le métro. Il faut avoir les mêmes pratiques en France. Nous avons trop laissé faire. Il faut changer beaucoup d’habitudes. Nous avons une certaine lassitude de la sécurité mais il va falloir faire passer ça. » Devinette : si, pour la sécurité, on applique les techniques israéliennes, qui fera les Palestiniens ?
Application de la charia
Dans un souci de perfectionner l’application de l’état d’urgence, la préfecture du Nord a interdit la vente d’alcool à emporter après 20 heures dans toute la région et sa consommation sur la voie publique la nuit sous peine d’une amende d’un montant de 150 euros. Heu biloute, c’est pô comme ça qu’on va défendre notre art de vivre et nos valeurs civilisationnelles, hiin !
Pour la tournée ! hips... France général ! hips !
« Je suis juste barbu »
Ainsi s’exprimait, dans Le Monde du 27 novembre dernier, un libraire musulman d’Argenteuil ayant subi une perquisition musclée. Après « Je suis Charlie » et « Je suis Paris », cette parole forte et universel est appelée à devenir le nouveau slogan en vogue sur les réseaux sociaux contre la multiplication des actes islamophobes.
Sortez avec vos flingues !
Lundi 30 novembre dernier, Bernard Cazeneuve, lors d’un comité technique exceptionnel rassemblant les syndicats, a entériné l’autorisation de port d’arme par les flics en dehors de leurs heures de service, en allant chercher les gosses à l’école comme sur la plage en vacances. Ils devront quand même porter un brassard les identifiant, être à jour de leurs séances obligatoires d’entraînement au tir et se déclarer à leur hiérarchie. On imagine déjà les affres de certains gradés dans les comicos : comment subtilement écarter de la liste les cow-boys notoires, les défenseurs avérés de la race blanche ou les dépressifs chroniques ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°138 (décembre 2015)
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Paru dans CQFD n°138 (décembre 2015)
Dans la rubrique Chien méchant
Dans la rubrique En bref
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Illustré par Lasserpe, Soulcié, Pirikk, Nicolas de la Casinière, Tawfiq Omrane, Mickomix
Mis en ligne le 16.03.2018
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