Retour sur Bloquons tout
Se rendre ingérables
On ne va pas se mentir, au début, on y croyait moyen. Décidé par on ne sait qui, au creux d’un été chaud et somnolent, ça paraissait un peu loin. Bayrou venait d’annoncer les premières mesures de la casse sociale qu’il comptait mettre en œuvre pour échapper à la « malédiction » de la banqueroute nationale et nous, nous partions (pour les plus veinard·es) sur nos lieux de villégiature préférés, la mine déconfite. Mais c’était sans compter sur les Françaises et les Français, toujours prompt·es à conspirer contre leur gouvernement. Ça a commencé par pépier en AG. D’abord à 30, puis à 50, puis à 300. Des mots d’ordre grattés sur des tracts semés aux quatre vents se sont mis à circuler, tandis que les murs se tapissaient de « on ne veut plus » et « bloquons tout ». Plus on avançait, plus le message tournait qu’une grève dans le monde du travail serait la bienvenue. Dans le même temps, des boucles Signal en veux-tu en voilà ourdissaient des plans secrets pour paralyser voies, villes et flux. Au sommet, le Premier ministre apparaissait toujours plus seul avec son budget honni sur les bras. Deux jours avant la date fatidique, alors que rien de vraiment concret n’avait encore commencé, boum : il est forcé de démissionner… Puis, le 10 septembre a eu lieu.
À Marseille : 80 000 personnes sont descendues dans la rue ce jour-là selon la CGT, 8 000 selon la préfecture. Classique. Partout en France, 197 000 selon le ministère de l’Intérieur, 250 000 selon la CGT. Un beau score pour une mobilisation spontanée. Plus encore si l’on mesure la timidité de la position prise par l’intersyndicale qui, sentant le vent du 10 septembre souffler de plus en plus fort, s’était réunie en catastrophe le 29 août, pour finalement n’appeler qu’à une journée de mobilisation nationale le 18 septembre1. De son côté, le jour J, Retailleau a quasiment vidé Beauvau de ses flics : 80 000 forces de l’ordre casquées et harnachées ont été déployées dans toute la France2. Mais, imperturbable, la journée s’est déroulée, joyeuse et déter. À Lyon, les grévistes de la raffinerie Total de Feyzin ont été rejoint·es par des manifestant·es sur leur piquet. À Saint-Hilaire-Bonneval, en Haute-Vienne, des agriculteur·ices ont barré l’autoroute avec leurs tracteurs. À Strasbourg, une « vélorution » (un cortège de cyclistes bloquant) a filé sur les routes et ronds-points. À Paris, les portes de Bagnolet, de Clignancourt, d’Aubervilliers, ont été prises d’assaut au petit matin, pendant que les élèves du lycée Hélène Boucher envoyaient des poubelles à la figure des flics. Partout, des blocages stratégiques, des manifs qui essayent de sortir des codes, une fluidité dans les modes d’action et une idée fixe : se rendre ingérables.
Au sortir du 10, suivi du 18, dans la myriade d’AG globales, de groupes thématiques et de rassemblements de quartier, on commence à stratégiser. Qu’est-ce qui marche le mieux ? Qu’est-ce qui coince encore ? Les blocages sont galvanisants, mais ne durent pas. Les grévistes sont trop peu, mais débrayent, secteur par secteur, avec quelques bonnes poussées autogestionnaires. Comment faire le lien entre l’étincelle et l’artillerie lourde ? Des mains se tendent, des ponts se font, sans pleinement réussir à dissiper les vieux antagonismes. Pour autant, si chacun joue sa partie, tous se complètent dans la pression qu’ils mettent sur le gouvernement, plus instable que jamais.
À Marseille, la rédaction de CQFD a bien sûr sauté à pieds joints dans la journée du 10 – les plus vaillant·es participent toujours aux AG, commissions, et vivent leur grève par procuration sur les piquets. Et elle en a tiré quelques réflexions stratégiques à partager. Certaines actions l’ont épatée, d’autres l’ont laissée un peu sceptique. Tour d’horizon critique, mais fraternel, des initiatives aperçues dans la cité phocéenne.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Malgré tout, certaines organisations locales, ou de secteur, ont franchement appelé au 10, telle que l’Union départementale de la CGT du Nord (gloire à elle).
2 À titre de comparaison, au plus fort de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 28 mars 2023, 13 000 membres des forces de l’ordre avaient été mobilisés dans toute la France. La mobilisation des Gilets jaunes du 8 décembre 2018, avait quant à elle, mobilisé 89 000 policier·es.
Cet article a été publié dans
CQFD n°245 (octobre 2025)
Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
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Paru dans CQFD n°245 (octobre 2025)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Benoit Guillaume
Mis en ligne le 04.10.2025
Dans CQFD n°245 (octobre 2025)
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