Nucléaire

Le jour où Marcoule…

Marseille, lundi 12 septembre, midi et demi. Nous rentrons tout juste de chez l’imprimeur, les bras chargés d’exemplaires de CQFD tout frais. Harassés mais contents, comme à chaque numéro. Et puis, le téléphone sonne : « Vous êtes au courant ? Ça vient de péter à Marcoule ! Ils ne disent rien dans le poste ! Je préviens les collègues du coin… » Et merde… Marcoule, on connaît, en mai dernier, nous avons consacré deux pages (CQFD n°89) à ce petit paradis de l’atome, son tritium, ses ogives nucléaires, son Mox, ses déchets radioactifs… Vite, la radio ! Sur France Info, l’Albert Londres de service s’emmêle les micros, avançant qu’il s’agit de la centrale au nord d’Orange, que l’on peut voir depuis le TGV. Non, coco, ça c’est le Tricastin. C’est mignon d’essayer de nous informer, mais cesse donc.

par Nardo

Un coup d’œil sur la carte des vents nous apprend que les masses d’air venant du nord se déplacent à la vitesse de quarante kilomètres par heure en direction de Marseille1… Nous gambergeons sur l’hypothétique arrivée de quelques nuages empoisonnés sur cette ville de près d’un million d’habitants, et du foutoir qui en découlerait.

À 14 heures, nous savons qu’un four a explosé, mais point davantage… Nous passons alors un coup de fil à la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) basée à Valence (Drôme). Notre interlocuteur nous confirme l’explosion sur le site, qui a tué un employé et blessé trois autres, et précise que, pour l’heure, ils attendent le relevé des taux de radioactivité enregistrés par leurs balises de Montélimar (Drôme) et Avignon (Vaucluse)… Rassurés ? Non, merci.

C’est seulement en fin d’après-midi que les médias parleront d’un simple « incident » impliquant des matériaux « faiblement et très faiblement radioactifs ». Selon les chiffres délivrés par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de sûreté nucléaire (l’ASN), il n’y a pas une once de radioactivité supplémentaire dans l’air, juré sur la tête du professeur Pellerin ! D’ailleurs, le toit et les murs du bâtiment de l’entreprise Centraco qui abritait le four ne sont-ils pas intacts ? Nous pouvons défaire nos valises…

Quelques jours plus tard, un marcoullard – petit nom donné aux salariés de Marcoule – travaillant sur le site du CEA nous explique sereinement : « Quand on a entendu la sirène d’alerte, on a tout de suite compris qu’il ne s’agissait pas d’un problème de radioactivité. Quand c’est le cas, elle se déclenche automatiquement. Là, elle a été déclenchée manuellement… Méchante explication. Non, personne ne s’est inquiété ! Nous faisons des exercices réguliers, nous avons l’habitude. On n’a pas été confinés, on a juste attendu et, au bout de trois heures, on a pu partir. » Une belle confiance que nombre d’habitants de la région n’ont pas partagée. Jean Revest, du Collectif antinucléaire du Vaucluse (CAN 84), avance que, entendant la sirène, « certains ont abandonné leurs engins agricoles en plein champ, d’autres ont colmaté les fenêtres des écoles, ou saturé les standards des mairies, ou encore se sont rués chez les pharmaciens pour se procurer des pastilles d’iode. »

Le jour de l’explosion, les membres du CAN 84 ont effectué, comme ils le font quotidiennement depuis la catastrophe de Fukushima, des relevés à l’aide d’un compteur Geiger Müller Quartex sur un axe allant de Mormoiron, au nord du Lubéron (Vaucluse), à Sète (Hérault). Leurs mesures révèlent un taux de radioactivité moyen six fois supérieur à la normale. « Nous nous sommes renseignés pour savoir si un convoi de matières nucléaires n’était pas passé par là. Rien ! Quand on sait que Centraco dispose d’un droit de rejet atmosphérique en temps normal, il n’est pas impossible qu’une bouffée de radioactivité se soit échappée par la cheminée », rapporte Jean Revest. Le 30 septembre, la Criirad a dénoncé les chiffres publiés par l’IRSN, avançant que le taux de radioactivité des déchets métalliques présents dans le four au moment de l’explosion était 476 fois supérieur aux données officielles. Elle s’apprête à saisir la justice. Peut-être aurions-nous dû plier bagage…


1 Les locaux de CQFD sont à Marseille.

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Paru dans CQFD n°93 (octobre 2011)
Par François Maliet, Gilles Lucas
Illustré par Nardo

Mis en ligne le 14.10.2011