Au sommaire du n°167
En une : "Tourisme : plus loin, plus vite, plus rien" de Jean-Michel Bertoyas.
Dossier : Tourisme : plus loin, plus vite, plus rien
Non, CQFD ne s’est pas proposé de gâcher vos vacances. Mais de questionner un pervers saucissonnage du temps et des espaces au nom du droit aux loisirs qui, contrairement à ce que font miroiter les guides touristiques, ne nous fait vraiment pas la vie belle.
Pour Jean Mistler, « le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux ». En écho à ce bon mot, et alors que la dimension bronzée et en tongs de la mondialisation bat son plein, la « tourismophobie » prend de l’ampleur partout en Europe.
L’été dernier, la presse quasi unanime s’est émue des manifestations - portant des slogans comme « Mort au tourisme ! » ou « Tourist go home ! » - qui ont troublé la quiétude des visiteurs en Espagne, en Italie, au Portugal et même en Croatie.
Dans son édition du 17 août 2017, La Dépêche du Midi publie le témoignage d’un couple de Bretons, habitué des festivités traditionnelles de Donostia (San Sebastián) et très chagriné par cette incompréhensible vague de rejet. « Nous devions rester jusqu’à samedi, mais avec la manifestation anti-touristes qui a lieu ce jeudi, en ouverture des fêtes de la ville, on préfère s’en aller, pour ne pas risquer d’être agressés. »
Avant de conclure sur ces « cafés et restaurants du quartier antique [qui] promettaient aussi de rester fermés, pour ne pas être la cible de possibles débordements de manifestants », le journaliste du quotidien régional insiste sur la crispation identitaire et nationaliste qu’il croit déceler chez les protestataires. Ne manquerait qu’un relent xénophobe pour en faire des salauds de fascistes ? En tout cas, de fameux hypocrites, ces énergumènes, tant la manne touristique semble incontournable aujourd’hui ! Au niveau local d’abord, notre plumitif de La Dépêche, encore lui, tient à ramener tout le monde à la raison économique. Avec deux millions de visiteurs annuels, les retombées du tourisme « profiteraient directement » à 35 % de la population de la ville basque. On n’est donc plus très loin de la mono-activité (ou de la « monoculture », comme disent les assemblées de quartier de Barcelone en lutte contre la « touristification » de leur ville)…
Au niveau global ensuite, d’après l’Organisation mondiale du tourisme et diverses institutions représentant les professionnels du secteur, la contribution totale de l’industrie touristique au PIB planétaire s’élèverait à 10 %. Davantage encore que les industries automobile, pétrolière, agro-alimentaire, de la drogue ou des armes ! Mais tellement plus inoffensive, diront certains... C’est à voir. Les dégâts environnementaux et culturels crèvent les yeux de qui veut bien regarder. Et ce sont loin d’être les seuls. Énumérer les pseudo-bienfaits de ce méga-business revient déjà à lister ses néfastes conséquences. Dire que près de 300 millions d’emplois à travers le monde dépendent des allées et venues de près d’un milliard et demi de touristes (dont la moitié en Europe, même si le Vieux Continent perd chaque année des parts de marché au profit de l’Amérique du Nord et de l’Asie), c’est parler de pollution, de massification et d’exploitation. Et d’un lobby surpuissant.
Par conséquent, il ne faudrait pas que les anti-touristes viennent perturber trop longtemps la bonne marche d’affaires aussi juteuses. De la même manière que des pays comme la Thaïlande, le Guatemala ou le Maroc ont sanctuarisé leurs zones touristiques pour les protéger de la petite délinquance ou du péril terroriste, verra-t-on les pays riches criminaliser ces mouvements de protestation ?
En attendant, saluons cette prise de conscience qui gagne partout du terrain : le tourisme est l’ennemi radical du voyage, de l’hospitalité, des territoires et de toute idée d’émancipation. Mort au tourisme, donc. Qu’il soit en nous ou hors de nous.
Bruno Le Dantec et Iffik Le Guen
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Cet article a été publié dans
CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Paru dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Illustré par Bertoyas, Emilie Seto, Marion Esnault
Mis en ligne le 06.07.2018
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