CQFD : Vous vous dîtes « antifas ». C’est quoi ?
Momo : Nous disons « antifa » plutôt qu’antifasciste parce que l’antifascisme n’a été longtemps que dans une posture de réaction. Or, on a d’autres choses à proposer. C’est une manière de dire que même si les fascistes ne sont pas là, on se bat quand même.
Aurélien : Les antifas se retrouvent aussi dans différents mouvements syndicaux, politiques mais aussi dans des organisations ou des associations de fait et dans des quartiers.
Momo : Être antifa, c’est appartenir à une culture militante qui implique une nouvelle manière de faire de la politique. C’est une lutte où il y a de l’affrontement, qui fait sortir du confort quotidien et on ne reste pas dans le théorique. On ne se laisse pas faire. De l’antifascisme découle la lutte contre le capitalisme, contre l’autorité et contre toute forme d’injustice.
Pierre : Tout le monde est antifasciste au sens général, y compris au PS. Personnellement, je suis un militant antifasciste radical : la précision est essentielle. La lutte antifasciste n’est pas une fin en soi : l’anticapitalisme et l’internationalisme sont parties prenantes de celle-ci. C’est à partir de ces fondamentaux que l’on vise plus large que simplement s’affronter ou manifester contre l’extrême droite plus ou moins légale. Nous nous voulons autonomes dans le sens où nous ne sommes pas à la remorque d’une quelconque organisation politique.
Momo : Le PS n’est pas antifasciste. C’est très courant de ne pas être raciste et de ne pas aimer les fascistes. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont dans l’action, dans le « ils ne passeront pas ».
Quel rôle vous pensez avoir dans la société et plus précisément dans les luttes politiques ?
Momo : Il y a un sentiment de frustration totale dans la jeunesse qui conduit à renoncer à la lutte. Plutôt que de changer le quotidien, chacun essaie d’oublier, de passer à autre chose. Face à cette situation, nous avons choisi une forme de militantisme.
Aurélien : Les médias ont tendance à voiler complètement la réalité. On essaie de remettre certaines idées, certains débats au centre de la société.
Momo : L’antifascisme de notre génération peut relancer la dynamique. Historiquement, les antifascistes étaient dans l’attente et le suivi des grands mouvements politiques. Personne n’a à nous dicter notre conduite.
Vous dîtes que l’antifascisme c’est l’anticapitalisme. Pourquoi mettre en avant l’antifascisme ?
Pierre : On n’est pas l’armée de réserve de la démocratie, comme j’ai pu le lire ou l’entendre depuis la mort de Clément. Le mouvement antifa radical s’inscrit pour moi comme partie intégrante du mouvement révolutionnaire. Nous tentons de relancer une dynamique d’affrontement avec le système. On sait très bien que derrière les fafs, il y a les flics qui les protègent, et, qu’ensuite, il y a les donneurs d’ordres. On est présents dans la rue, les fafs y sont aussi. C’est là qu’il faut aujourd’hui répondre. Mais la lutte est aussi sur d’autres terrains comme les centres de rétentions, les réquisitions d’apparts vides, etc.
Momo : Tout le monde est contre la guerre, contre la famine, mais pas grand monde ne se bat véritablement. Dans l’antifascisme radical, il y a une activité concrète. Il y a une notion d’affrontement qui s’est perdue dans les autres mouvements.
En même temps, le rejet de l’extrême droite est très consensuel. Les proclamations contre le fascisme font florès dans les médias, sur les ondes, dans les concerts, etc.
Momo : C’est du folklore.
Pierre : Il y a un côté politiquement très correct dans l’antifascisme. L’antifascisme officiel et consensuel est le degré zéro de la politique. Il ne suffit pas de manifester en criant « non au fascisme » et de porter un tee-shirt du Che.
Comment analysez-vous cette adhésion de nombreux jeunes à des courants de type fascistes ou néo-nazis ?
Pierre : En plus du rejet complet de la politique traditionnelle, cela correspond à une demande d’un certain ordre, d’un encadrement.
Momo : À force de vouloir plaire à tout le monde, la gauche est devenue totalement creuse. Dans leur grande majorité, ces jeunes qui sont aujourd’hui à l’extrême droite le sont par défaut. Ils en ont marre du politiquement correct.
Pierre : Il y a quelques décennies, être rebelle, c’était porter le keffieh, aller aux manifs, être dans l’action… Maintenant, c’est le mec qui exprime des opinions qui vont à contre-sens du consensus démocratique. Dans le nord de la France ou dans l’Est, les gamins de 14/15 ans pensent être des rebelles en portant les fringues des skins nazis.
Momo : Dans le mouvement antifasciste en France, il y avait des formes d’illégalisme et de romantisme portées par des « en-dehors » très individualistes. Il n’y a pas eu de transmission car ces gens ne revendiquaient pas leurs actes. Le passage des idées d’une génération à une autre ne s’est pas fait.
Est-ce que vous pensez qu’on vit dans une époque où est présente une menace de prise du pouvoir par les fascistes ?
Aurélien : Je ne le pense pas, néanmoins les idées se droitisent de plus en plus. Le PS ressort parfois des propositions du FN.
Momo : La menace est présente à travers certaines formes de communautarisme, le racisme, les discours sécuritaires, l’antimondialisme primaire qui conduit au rejet de l’autre, le nationalisme, etc.
Pierre : Ce qui fait gagner des points au FN, ce n’est pas tant l’augmentation de leur électorat que l’abstention, résultat du dégoût partout répandu de la politique. La fille Le Pen, aidée par les médias, a réussi à gagner sur la dédiabolisation de son parti. Paradoxalement, on a beau dénoncer, preuves à l’appui, le fait que le FN reste le même, cela participe au cleanage du parti et lui donne l’occasion de se présenter comme neuf.
Comment vous avez vécu, compris, analysé la mort de Clément Méric ?
Pierre : Ça aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous. On a tous été confrontés directement aux fafs, avec des échanges de coups, voire plus grave dans certains cas. Cela dit, l’affrontement physique a longtemps primé sur la réflexion qu’il y a à mener sur les transformations des courants que l’on présente sous le nom de fascistes. L’extrême droite a su évoluer avec son temps, alors que le mouvement antifa me semble être resté bloqué dans les années 1970.
Aurélien : C’est la première fois que la mort d’un antifa survient en France, alors que cela arrive régulièrement en Europe de l’Est, en Italie. En Russie, ce sont des dizaines d’antifas qui meurent tous les ans.
Momo : Il y a un an, l’un d’entre nous a failli mourir et il en gardera des séquelles à vie. Un an auparavant encore, un couple d’antifas avait été agressé. Eux aussi conservent les traces de très graves blessures.
Pierre : La mort de Clément me rappelle celle d’Ibrahim Ali, ce jeune de dix-huit ans abattu par des colleurs d’affiches du FN dans les quartiers nord de Marseille en 1995. Dix-huit ans après, un autre jeune est tombé. Toutes ces années de luttes antifas pour être confronté à nouveau à la mort d’un gamin… Et se dire que rien n’a changé si ce n’est en pire…
Il y aurait à dire sur la manière dont les médias ont présenté Clément. On en a fait une sorte d’icône avec son portrait à la une de Libération : il était jeune et intelligent, il avait gagné contre la leucémie, tout le monde l’aimait. Puis, histoire de vendre du papier, de victime il est devenu l’agresseur. Or, Clément est mort en se battant pour ses idées, pas en victime expiatoire. Et s’il a frappé le premier, c’est parce qu’il avait bien compris qu’il ne faut jamais laisser une chance à ces idées de merde.