Écran Total 2, le retour

Du vendredi 31 janvier au dimanche 2 février se sont tenues à Lyon les deuxièmes rencontres publiques d’« Écran total » où se retrouvent des collectifs de pâtres, de pédagogues ou de travailleurs du Livre, etc. en lutte contre l’informatisation et la bureaucratisation de leurs activités. CQFD a rencontré Raphaël Garrigo, l’un des animateurs de ce rendez-vous, de passage à Marseille.

CQFD : « Écran total »… c’est quoi ?

Raphaël Garrigo : Avant tout, c’est un réseau de réflexion et d’action, réunissant plusieurs collectifs et individus venus de toute la France qui mènent une lutte en lien avec leur métier ou leur activité. Nous avons formalisé une rencontre en octobre à Montreuil, et avons décidé d’organiser un nouvel événement public très rapidement, dès janvier. Ce genre de moment permet de mettre en relation des gens qui ont, sur leur terrain, des analyses critiques intéressantes et qui mènent des actions en conséquence. Ça permet ensuite de développer une réflexion plus globale, d’envisager des actions coordonnées.

Alors, Écran total… c’est qui ?

Qu’ils soient libraires, bergers, chômeurs, menuisiers ou issus du secteur social ou de l’éducation, ces collectifs ou individus s’opposent aux nouvelles méthodes de management visant à rentabiliser leur travail, à créer de la valeur pour les besoins du capital là où, en fait, il faudrait chercher l’émancipation des personnes… Des outils de gestion de plus en plus perfectionnés normalisent le travail social, la transmission du savoir à l’école, mais aussi le compagnonnage des bergers avec leur troupeau, ou encore le travail du bois qui doit répondre à des critères industriels de production décidés par en haut.

L’autre axe de réflexion, qui est intimement lié au précédent, c’est la lutte contre l’informatisation grandissante de notre rapport à l’autre, à nos métiers ou tout simplement à l’existence. Depuis longtemps, le recours à la machine crée des emplois sans qualification et détruit l’autonomie des travailleurs par rapport à leur production. De plus en plus de métiers n’ont plus besoin que d’opérateurs de saisie, soumis à un système de gestion bureaucratique et étatique, à des objectifs de rentabilité chiffrés… Pourtant, enseigner, être libraire, s’occuper d’une brebis, travailler le bois, soigner une personne malade, réparer une voiture, ce sont autant de pratiques qui nécessitent un savoir-faire, une inventivité et une sensibilité qu’aucun logiciel ne saurait remplacer.

Dans Écran total, il y a aussi un collectif d’assistantes sociales du Conseil général de Seine-Saint-Denis en lutte contre les statistiques personnelles1 qui vont dans le sens d’une gestion des populations indésirables, pauvres, immigrées, sans-papiers ou autres, loin de préoccupations réellement « sociales ». On y trouve aussi des bergers du Tarn qui s’opposent à l’identification électronique (par puce RFID) de leurs troupeaux, et à la multiplication des contrôles bureaucratiques qui les dépossèdent de leur savoir-faire pour les soumettre aux logiques de l’industrie – qu’elle soit bio ou pas, d’ailleurs. Il y a également le collectif des 451 qui regroupe plusieurs métiers du Livre (imprimeurs, éditeurs, libraires, correcteurs, etc.) travaillant sur une critique de la numérisation des œuvres écrites, la transformation du livre en fichier électronique appartenant à de grands groupes industriels, la délocalisation des imprimeries, ou bien encore la mainmise de la distribution sur l’ensemble de la chaîne du livre… Sont également présents des profs soumis à environnement numérique de travail (ENT) avec les cartables numériques, le tableau digital, les contrôles biométriques aux cantines, les systèmes de flicage de type Base-élève, qui sont en fait les fruits empoisonnés de l’alliance entre l’état et les compagnies informatiques. Mais à Lyon, on va aussi rencontrer des médecins ou même des menuisiers et des chômeurs qui sont eux aussi confrontés à ces types de situations.

En fait, chaque groupe est arrivé à la même conclusion : les transformations de nos pratiques causées par ces nouvelles formes de bureaucratisation informatisée entraînent partout des transformations sociales allant vers l’asphyxie de nos autonomies, de nos libertés. Jusqu’à remettre en question le sens même de la liberté.

Écran total… ça fait quoi ?

Lors des premières rencontres, à Montreuil, nous avions échangé nos expériences de lutte et nos critiques : le refus d’identification et de contrôle vétérinaire des éleveurs ou celui de remplir les statistiques pour les assistantes sociales, ou encore la rédaction d’un manifeste européen des métiers du Livre. Nous avons mis en place des pistes de soutien les uns envers les autres : il s’agit que chacun puisse mener une action de solidarité dans sa propre région, lorsque des sanctions s’abattent, par exemple, sur les bergers ou les assistantes sociales qui résistent. Avec ces nouvelles rencontres écran total à Lyon, on compte continuer : discuter, rencontrer, échanger et agir collectivement.

Contact : ecrantotal@riseup.net

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Voir dans l’excellent dernier Article XI, « Gérer les flux et reflux d’usagers ? ».

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