Loups solitaires, groupuscules, indics et flics fachos

Néonazis, police allemande : les liaisons dangereuses

Des rapports indépendants1 ont recensé environ 200 décès violents dus à l’extrémisme de droite depuis la réunification de l’Allemagne. Le chiffre officiel du gouvernement fédéral plafonne à… 83. Dans de nombreux cas, les motifs des crimes ne peuvent plus être clarifiés, car les investigations n’ont pas été poussées vers des mobiles politiques. Ce qui ne manque pas d’interroger sur les liens ambigus entre la police allemande et l’ultradroite.
Leipzig, le 5 février 1992. Les groupes néonazis s’affichent sans complexe dans les "Montagsdemo" (manifestations du lundi) / Photo Hassan J. Richter

Quand on remonte le fil depuis trente ans, un même soupçon de négligence policière, voire carrément pire, plane autour des affaires qui incriminent les groupes néonazis. En décembre 2018, c’est dans les rangs mêmes de la police de Francfort qu’est découvert un groupe qui communie sur le réseau social WhatsApp dans la même fascination pour le IIIe Reich, tout en professant des menaces contre une avocate d’origine turque.

Plus inquiétant encore : en juin dernier, un réseau d’une trentaine de membres, répondant au doux nom de Nordkreuz (la croix du Nord), est démantelé dans le land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, au nord-est du pays. Après avoir récupéré des fichiers de police, le groupuscule avait dressé une liste de 25 000 cibles à abattre, composée de personnalités de gauche, ou même de la CDU (le parti chrétien-démocrate d’Angela Merkel), considérées comme « pro-réfugiés ». Le projet était déjà à un stade avancé. 200  bodybags avaient été commandés ainsi que de la chaux vive pour faire disparaître les cadavres. L’enquête a pu établir des liens entre les terroristes et des membres de l’armée et la police. Et au moins une des personnes arrêtées faisait partie des forces spéciales d’intervention de la police (Spezialeinsatzkommando).

Peu avant, le 2 juin 2019, l’assassinat du député Walter Lübcke d’une balle dans la tête avait alerté sur le passage à l’acte de groupuscules violents ou d’individus isolés en lien avec les idéologies racistes. L’élu CDU était dans le collimateur des néonazis depuis l’annonce de la construction d’un centre d’accueil pour migrants dans sa ville de Lohfelden. Il avait reçu plus de 350 mails d’insultes et de menaces. Le suspect, Stephan Ernst, confondu quelques jours plus tard par son ADN, était connu pour son activisme depuis les années 1990.

Nazi underground

En octobre 2018, un groupe dénommé Revolution Chemnitz était mis hors d’état de nuire en Saxe. Son projet ? « Le renversement de la République fédérale d’Allemagne », en toute simplicité. Se voyant comme une « armée populaire », il voulait cibler un certain nombre d’ennemis politiques : « Les parasites de gauche, les zombies de Merkel, la dictature des médias et de leurs esclaves ». Le groupe prétendait supplanter les « baltringues » de l’organisation néonazie Nationalsozialistischer Untergrund (NSU) qui avait fait parler d’elle quelques années auparavant.

Entre 2000 et 2006, la série d’assassinats racistes du NSU avait fait neuf victimes – neuf commerçants, principalement d’origine kurde et turque. On découvrira là encore que le trio meurtrier était catalogué parmi les activistes dangereux, en contact avec le réseau Blood and Honour, depuis le début des années 1990. Mais jusqu’en 2011, l’enquête piétine en direction d’un hypothétique crime organisé turc, en lien avec le trafic de drogue et les dettes de jeu, ou des Loups gris, ces ultranationalistes turcs antikurdes. C’est seulement après le suicide de deux des protagonistes à la suite d’un braquage de banque raté, le 4 novembre 2011, que la police remonte la piste du NSU lors d’une perquisition.

Certains faits interrogent. Les cafouillages et les zones d’ombre liés à l’enquête s’accumulent, allant jusqu’à la destruction de pièces de procédure. Ainsi, un décret du ministère de l’Intérieur du 14 novembre 2011 avait ordonné la destruction de six rapports concernant des écoutes téléphoniques dans les milieux radicaux d’extrême droite sous prétexte d’expiration du délai de conservation. Le décret a été appliqué quelques jours après que l’existence du NSU a été rendue publique. À l’époque, un journal comme le Spiegel s’était étonné de cette précipitation ; les services de renseignement intérieur avaient plaidé une procédure de routine… suivie par bien d’autres. Selon un rapport du ministère de l’Intérieur, ce sont 310 dossiers ayant trait à l’ultradroite qui ont été détruits entre novembre 2011 et juillet 2012 !

Des occultations qui rappellent les secrets toujours bien gardés de l’attentat aveugle à la bombe qui eut lieu lors de l’Oktoberfest de Munich le 26 septembre 1980 et fit 13 morts et 211 blessés. Les observateurs y décelaient la marque de fabrique de la fameuse « stratégie de la tension » qui sévissait en Italie à la même époque2.

L’AfD, un parti de flics ?

Autre élément qui a pesé sur le cas du NSU et plus globalement sur les affaires liées à l’activisme néonazi : l’existence révélée de plus d’une vingtaine d’indicateurs de police dans la mouvance du NSU, dont les témoignages se sont volatilisés. En gros, l’entourage des clandestins était truffé de mouchards, mais rien n’a filtré pendant une dizaine d’années ! Ces V-Leute (Vertrauen-Leute  : « gens de confiance ») jouent d’ailleurs un rôle particulièrement opaque dans le développement de l’activisme néonazi. La plupart de ces indics sont recrutés parmi les activistes mêmes et rémunérés par les caisses noires de l’État. Un traitement grâce auquel ils peuvent en retour financer leurs activités subversives... C’est la svastika qui se mord la queue, quoi !

Dès lors, si on peut soupçonner une collusion entre certains policiers et les nazis les plus violents, on ne s’étonnera pas de la bonne entente entre Hans-Georg Maaßen, chef des renseignements jusqu’en 2008, et les dirigeants de l’AfD (Alternative für Deutschland), principale formation nationale-populiste et désormais troisième force politique du pays. Maaßen avait rencontré plusieurs fois l’ancienne cheffe Frauke Petry pour la conseiller. D’autre part, Maaßen avait toujours affirmé que l’AfD n’était « pas un parti extrémiste » et qu’il n’y avait pas lieu de le surveiller. Il sera finalement poussé vers la sortie après ses déclarations minimisant le pogrom anti-immigré de Chemnitz du 1er septembre 2018. Il n’a pas manqué de se dire victime d’un « complot gauchiste au sein du gouvernement ».

En outre, au sein de l’AfD, un certain profil socio professionnel se dégage : sur 91 députés, 12 sont issus de l’armée, 7 de la police et quatre sont procureurs ou juges.

Une vieille histoire

Dans un temps plus long, on peut faire remonter cette collusion entre police allemande et extrême droite à l’après-guerre quand, plutôt que de dénazifier, les alliés occidentaux ont confié la réorganisation des forces de sécurité et de la Justice à d’authentiques nazis... parmi les plus enthousiastes du IIIe Reich. Ce qui a permis, par exemple, au SS Paul Dickopf de devenir directeur de la police criminelle avec la bénédiction de la CIA dans les années 1960, puis de prendre la tête d’Interpol en 1968. Et de faire de ces institutions un sanctuaire pour vieux hitlériens sur le retour. Un rapport de 2011 avait établi que 33 des 47 cadres dirigeants de la police allemande dans les années 1960 étaient d’anciens SS… Dès lors, rien de surprenant à ce qu’il règne toujours dans les placards de la maison poulaga ultra-rhénane ce fumet de charogne.

Mathieu Léonard

1 Les études récentes menées par le journal Tagesspiegel, le site du Zeit ou encore par la fondation Amadeu Antonio.

2 L’attentat ne constitue pas l’objectif en soi de la stratégie de la tension. Il s’agit d’acclimater la population à la possibilité d’un pouvoir autoritaire, présenté comme le seul capable de mettre un terme au sentiment de chaos qui règne dans la société.

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