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Insultes de Macron : « Un racisme de classe de la gauche de droite »

Les insultes de Macron ne viennent pas de nulle part. Mais s’inscrivent dans une mise au pas néo-libérale initiée dans les années 1980, selon Gérard Mauger, directeur de recherche au Centre européen de sociologie et de science politique. Le point sur le sujet, en trois questions.

Le mépris de classe affiché par Macron est-il un aboutissement du chemin parcouru par un PS se détachant progressivement des classes populaires ?

« La politique dont Macron revendique la responsabilité, en prétendant avoir reçu le mandat de la mener à bien, ne fait en effet que poursuivre celles de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, qui ne faisaient elles-mêmes que prolonger celles de leurs prédécesseurs de droite ou de ‘‘ la gauche de droite ’’ depuis 1983. Ce qu’ils appellent des réformes1 consiste, en substance, à affranchir le capital des ‘‘ entraves ’’ mises en place entre 1945 et 1975 (Sécurité sociale, droit du travail, etc.), au nom de la construction européenne qui l’impose… L’impuissance navrée qu’a affichée pendant un temps le Parti socialiste invoquait l’Union européenne (décrite comme une réalisation internationaliste), et plus généralement la mondialisation (conçue comme une sorte de phénomène naturel ou technologique).

En fait, les politiques néo-libérales mises en œuvre par les uns et les autres sont la traduction pratique de leur croyance collective (intéressée) à l’utopie du marché pur et parfait. Au fil de cette histoire, le rapport du think tank du PS, Terra Nova2, a marqué une étape, en faisant sienne la représentation des classes populaires qu’incarne la figure du ‘‘ beauf ’’ machiste, homophobe, raciste, xénophobe et rallié au FN. Ce rapport a officialisé en quelque sorte le racisme de classe de ‘‘ la gauche de droite ’’… »

Les Français dans la bouche de Macron subissent des injonctions dévalorisantes (trop protégés), inaccessibles (tous milliardaires) ou non désirées (tous auto-entrepreneurs), rappelant le management par la terreur en entreprise. La méthode Macron pourrait-elle se rapprocher d’une nouvelle gouvernance managériale ?

« Emmanuel Macron incarne l’adhésion inconditionnelle à ‘‘ l’esprit du capitalisme ’’ sous sa forme contemporaine. Avec une certaine naïveté, il pense pouvoir la faire partager par les Français, toutes classes sociales confondues (étant entendu que, de son point de vue, les classes sociales appartiennent au passé et qu’il s’adresse à des individus). Dans cette perspective ethnocentrique mais assez largement partagée, tout Français est, sinon une startup en herbe, du moins un manager virtuel, mû par l’aspiration à devenir milliardaire… Et l’incapacité de concevoir d’autres intérêts que l’accumulation indéfinie de capital économique, conduit à percevoir les récalcitrants à ce genre de croyance comme des individus frileux, timorés, gagne-petit, crispés sur leurs acquis et allergiques au risque… »

L’usage des petites phrases décomplexées, de Sarkozy à Macron, revient à agiter les ferments d’une guerre civile. Comme si les pseudo-élites avaient la certitude d’avoir un monde de rechange dans lequel continuer à vivre confortablement en cas d’écroulement généralisé. La nouvelle mouture d’une stratégie du pire ?

« Je ne pense pas que la guerre civile soit à l’ordre du jour, même si Emmanuel Macron mène activement la lutte de classes : ce qu’il appelle ‘‘ réformer la France ’’… Des petites phrases que se plaisent à relever les journalistes, j’en retiens deux. Dans l’une, Emmanuel Macron oppose ‘‘ ceux qui réussissent ’’ à ‘‘ ceux qui ne sont rien ’’ : l’être et le néant, en quelque sorte. Elle résume assez bien, je crois, ce que je viens d’indiquer. Pour Emmanuel Macron et ses semblables il n’y a qu’un jeu qui vaille d’être joué – celui de l’accumulation capitaliste. Et la réussite s’y mesure en milliards d’euros (comme dans les palmarès des journaux financiers). Tout autre jeu et tout autre enjeu semblent lui échapper…

Dans la seconde petite phrase, Macron s’en prend à ‘‘ ceux qui foutent le bordel ’’ et qui refusent de ‘‘ jouer le jeu ’’ qu’il entend imposer à tou.te.s. En fait, il me semble que ce sont eux – Emmanuel Macron et les ‘‘ élites ’’ adhérant à ces croyances – qui n’ont pas de monde de rechange. Tout se passe non seulement comme s’ils étaient incapables de concevoir qu’un ‘‘ autre monde est possible ’’, mais que d’autres mondes existent ici et maintenant : ces gens-là sont aveugles et sourds à d’autres jeux et d’autres enjeux que les leurs… »

Iffik Le Guen

1 Sur ce sujet, voir Gérard Mauger, Repères pour résister à l’idéologie dominante, Éditions du Croquant, 2013.

2 Il s’agit du Projet 2012 – contribution n° 1, titrée « Gauche, quelle majorité électorale pour 2012 ? ».

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