Pas de fainéants au salon des entrepreneurs
« Rêver où personne n’a rêvé ! »
Dès l’entame, ça démarre fort. « Les Français ne sont pas prêts à en finir avec les CDI », regrette Jonathan, jeune auto-entrepreneur musclé. Lui, oui. Sept ans de petits boulots et un passage par l’armée l’ont convaincu que l’entreprise constituait le bon chemin, la good way, pour un business plan de combat. Échaudé par l’entreprise traditionnelle, il est heureux de monter sa boîte. En plus, s’enthousiasme-t-il, Jupiter « a rehaussé le plafond » du statut d’auto-entrepreneur. D’ailleurs, lui le dit tout net : il a voté pour le fringant président, notamment pour son « côté jeune, actif ». Voire super actif. Sa proposition de faire bénéficier du chômage les démissionnaires ? « C’est bien, mais tout le monde va se barrer. Beaucoup de gens ne sont pas heureux au travail. » Sans déc’ ? Soit dit en passant, ce rejeton d’un père fonctionnaire et d’une mère salariée trouve Xavier Niel formidable. Et tant pis si le patron de Free réduit les coûts (mais pas les coups) sur les salaires. Moins d’espace dans un bureau, ça fait gagner de l’argent, ajoute Jonathan, partisan d’un management agressif.
The Place to be
Jonathan est loin d’être isolé : ici, les spécimens de son espèce pullulent, amalgamés en grappes éparses autour des stands archi-bondés de Google ou de Facebook, leur enthousiasme en bandoulière. Les seuls à gâcher l’ambiance sont les commerciaux du journal has been (communiste, donc dans la mouise) La Marseillaise. Eux font grise mine, pas assez « startup nation » à l’évidence… Ne m’attardant pas avec ces losers, je file vers le stand Business France où je ne vois – c’est une honte ! – aucun portrait de la ministre Muriel Pénicaud. Cette boîte sert pourtant à promotionner la France everywhere, à Las Vegas comme à Vierzon. Objectif : booster les PME pour qu’elles sortent du cash. Être on the place to be, qu’ils proclament. Je dois y être.
À droite, je jette un œil sur le coin des Scops et des boîtes pour petits capitalistes. Ceux-là sont des gagne-petit : ils te proposent de végéter dans un capitalisme de seconde zone, d’ouvrir un bar à eau en Bretagne ou un restaurant à huîtres dans l’Est. L’important consiste à faire croire que tout le monde y croit. Pas gagné.
Je progresse dans les allées avec une étrange sensation de vide. Au Salon des entrepreneurs, on ressent vite l’impression d’un brassage de vent généralisé, entre les boîtes qui agissent comme des sangsues et celles qui vendent des services inutiles. Du coup, c’est truffé de jeunes qui se ventilent d’un stand futile à une conférence guignolesque. En bon mouton, je les suis. Droit vers une conférence qui s’intitule pompeusement : « Management, agilité, innovation, quels sont les secrets des startups qui explosent ? » Pôle emploi ayant canardé l’invit’ dans les boîtes mail des éloignés de l’emploi, c’est plein à craquer d’espérants au travail. Des jeunes Espoirs, comme on dirait aux Césars.
Confé-rance au sommet
Pour tête d’affiche, il devait y avoir l’héritier de CMA CGM (une boîte de containers, Inception n’est pas loin). Super ! Mais pas de bol : Monsieur est absent. Qu’à cela ne tienne, six entrepreneurs sont bien là, dont la moitié conseille les autres. Première conquérante : Mathilde de Pouzic, de Hellocare. Un service médical, comme son nom l’indique, qui permet de parler à un médecin en ligne. 29 € la consultation pour savoir à tout moment comment se perce un bouton sur le nez. Génial. Si ce n’est pas un service de sangsue, ça y ressemble.
En seconde prétendante, la pimpante Caroline Pailloux, qui sourit comme on lui a appris chez les sœurs. Elle vend gentiment les conseils de ma grand-mère : dire bonjour, être poli, « regarder dans le rétroviseur », ne pas dépenser ce qu’on n’a pas. Passionnant. Et tout le contraire du fonctionnement du grand capital (plus on a de dettes, plus on devient le créancier de nos prêteurs et, plus on domine). Sa boîte de recrutement va t’accélérer, c’est le nouveau mot not in english qui est prononcé environ 200 fois en une heure. Caroline sait se positionner à la place to be, mais aussi prendre du plaisir, réussir et trouver du sens dans son activité. Dans sa boîte, ils sélectionnent des péquenots entrepreneuriaux, les connectent à des startups sans cash, et leur apprennent le how to. Après ils les collent sur un rooftop1 à Paris. Et s’ils ont bien suivi toutes ces étapes, ils deviennent naturellement président de la République, avec un sourire Colgate. Pas une paillasse de fainéant à dormir dans une calanque un après-midi de juin après une cuite au Pernod.
Le troisième larron s’appelle Michel Fallah, fondateur de Smart Fret. On sent qu’il a décroché la timbale, le gonze, et pas qu’une fois. Il sourit de toutes ses dents. Prend des poses. Se pavane comme un possesseur de ticket gagnant. Et pour cause : il a séduit CMA CGM, le transporteur de containers, lui fourguant une application pour tracer ses grosses boîtes. Ignare comme tu l’es, tu ne le savais pas, mais c’est super angoissant de ne pas connaître l’emplacement de ton container dans ce putain d’océan. « Où se trouve ma cargaison ? », stressent ses clients. Heureusement, ils peuvent consulter Hellocare si leur mental flanche.
L’accélération sans fin
Sur le plateau, un Jean-Michel Apathie de belle prestance saute sur tous les mots-clés qu’on lui présente. Une délicieux concours de perroquets commence : « Il faut rêver où personne n’a rêvé », lance Patrick Siri, qui lui aussi accélère les startupers. Stéphane Soto, de La French Tech, imitant le cégétiste Philippe Martinez, appelle à une convergence public-privé pour accélérer l’économie. Et allez donc… à une telle vitesse, il est conseillé d’enfiler un casque.
Pas dans l’ambiance, Jérôme Allary, ingénieur conseil (autrement dit, comptable) chez BDO, douche tout le monde avec des bilans et des chiffres. Il ne fait pas rêver (et surtout pas « où personne n’a rêvé »). Résultat, Stéphane Soto se réveille pour expliquer « qu’il faut sortir de sa zone de confort ». Patrick Siri renchérit : « L’inconstance est une vertu pour l’entrepreneur. Il faut changer d’avis. » Pas en reste, Mathilde de Pouzic ne peut s’empêcher de filer la métaphore : « Il faut changer de route en pilote virtuose des courses. » Puis Caroline, probable épouse d’un dentiste, parle de pivots : « Savoir pivoter est essentiel. Pourquoi se lever le matin alors que le marché ne nous suit plus ? » Navigateur d’élite, Michel Fallah estime à son tour « qu’il faut un cap, une vision, un besoin de marins qui vont prendre tous les vents. » « Je vis des aventures passionnantes avec des vents violents », insiste le patron de la seule startup florissante du plateau. Ce n’est plus le salon des Entrepreneurs, c’est le Vendée Globe...
Ces gens-là sont fascinants : porteurs d’une énergie démente, ils empilent des monceaux de fadaises absconses sans jamais se démonter. Et le cirque continue : « Time to market », lance l’animateur avec une œillade à Mathilde. Caroline rappelle le rôle des Early Adopters, tes premiers clients (en général, des amis pétés de thunes ou qui ont le réseau). Ici, tout est affaire de réseau. On vient y chercher un carnet d’adresses qu’on va rappeler au phone après. Le b.a.-ba du commerce se revend toujours deux fois. Si ce n’est pas cynique, c’est au moins fainéant.
Épuisé par toute cette agitation entrepreneuriale, je tombe sur le salarié d’un site de référencement. Lui déplore le manque d’énergie du cru phocéen : « À Marseille, les gens sont peinards, ils ne se jettent pas sur notre questionnaire en ligne. Alors qu’à Paris, c’était la foire d’empoigne. » Faut dire que Marseille, c’est bien connu, est terre d’incurables fainéants préférant jouer à la pétanque en citant Pagnol que remplir des questionnaires. Et au sortir de ce Salon des patrons neuneus, ce bon vieux préjugé des familles a quelque chose de profondément rassurant...
1 Toit-terrasse, concept très en vogue.
Cet article a été publié dans
CQFD n°159 (novembre 2017)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°159 (novembre 2017)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Mickomix
Mis en ligne le 10.05.2018
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°159 (novembre 2017)
Derniers articles de Christophe Goby