Nous l’évoquions très récemment avec un camarade du canard indépendant Saxifrage [1] en route pour un reportage à Vintimille, ville située à la frontière franco-italienne : du périple des migrants – de leur arrivée sur la Botte jusqu’à leur passage en Hexagone –, l’on connaît surtout L’Aquarius, navire de SOS Méditerranée [2], l’île de Lampedusa ou encore le soutien réprimé de certains habitants de Nice ou de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes). Vintimille ? La ville a quasiment quitté le champ médiatique, et peu se souviennent qu’elle abritait un camp de migrants autogéré pendant l’été 2015, au moment où la France rétablissait sa frontière. C’est cette histoire que nous remet en mémoire Nous ne ferons pas marche arrière ! – Luttes contre la frontière franco-italienne à Vintimille, ouvrage collectif publié en juillet chez Niet ! Éditions (7 €).
Si l’on ne prend le temps de l’ouvrir, on pourrait classer ce petit bouquin dans la catégorie « militant-chiant » – si, si, cela existe. Ce serait une grossière erreur. Car il a le mérite de rappeler – à travers force témoignages – quel a été le combat de militants No Border et de voyageurs sans papiers bloqués en bord de route par l’arbitraire administratif, policier et militaire. De rappeler, voire de faire découvrir, que pendant quelques semaines, à quelques mètres de la frontière, sur les rochers des Balzi Rossi, les migrants et leurs soutiens ont réussi l’exploit de créer un véritable lieu de vie et de solidarité. « Après ce que nous avions vécu en Libye, trouver une telle solidarité humaine, c’était incroyable ! De gens qui dormaient avec nous du même sommeil, qui mangeaient avec nous la même nourriture. Après ça, après la peur en mer et avoir été traînés de camp en camp, arriver là-bas, à Vintimille, et être traités comme un être humain par d’autres êtres humains, c’était inespéré. Je suis arrivé là, j’étais fou, et j’ai rencontré des anges ! », témoigne CazaMoza avec une émotion non dissimulée. Dans le Presidio – nom du camp – « l’organisation a atteint un niveau important à partir du moment où on se voyait le matin pour faire une petite réunion pour voir qui allait faire quoi, complète Nazario, un Italien venu en soutien. Qui va nettoyer, qui commence à préparer à manger, qui va observer ce qui se passe à la frontière, qui va à la gare pour comprendre ce qui se passe là-bas ? […] C’était ça, les fonctions de cette communauté ». Qui, malheureusement, prit fin avec les beaux jours sous les charges policières.
L’intelligence de l’ouvrage ? Ne pas balancer à la mer tout ce qui pourrait s’éloigner de la vision politique des auteurs. Si ceux-ci ne ménagent pas le fonctionnement du camp de la Croix-Rouge situé à l’époque à quelques mètres du Presidio, ils reconnaissent que l’alliance de différents points de vue peut être une force. Comme quand ils évoquent, dans les derniers chapitres, la lutte actuelle dans la vallée de la Roya : « Les première réunions, t’avais une mère de famille catholique et des punks à chiens, relate un certain Pascal. Mais qui maintenant sont ensemble. Qui se sont domptés peu à peu, qui se retrouvent pour donner des coups de main aux maraudes ou parce que machin va prêter sa voiture. Je veux dire que ça laissera des traces. » Ce que nous espérons ardemment.