Chaix Pistols
Je hais donc je suis

Elle est colère, Leïla Chaix. Elle est rage, dégoût et éruption. Et elle le crie bien fort dans Haïr le monde (Le Sabot, 2025), manifeste polymorphe pour une poésie ne se regardant pas le nombril mais défonçant la laideur de l’existant. Car oui, tout ça part d’un constat : « L’autodestruction permanente qu’est devenue la société déborde notre entendement. C’est tellement gros que c’est hors cadre. […] Le déni est devenu vital, automatique et chose commune. » Une déploration qui englobe les choses les plus simples, comme la laideur uniformisée de la gare de Nice et son « désert-vitrine », mais aussi les causes les plus terribles, à l’image du génocide palestinien, d’autant plus monstrueux qu’il parade sur la toile : « On éructe devant nos écrans, on pleure, on craque, on devient fous. On partage on clique on commente. On communie dans l’impuissance. »
Mais attention, cette « haine » revendiquée n’est pas tournée vers n’importe qui. Sa cible ? Les bourreaux de la planète et leurs sécrétions quotidiennes, qui polluent chaque parcelle des villes et des champs : « Quand je dis le monde, je parle de cette prison immonde ; je parle de ce parking odieux, ce packaging artificiel, cette vitre en plexiglas qui floute. […] Je ne parle pas des êtres fragiles, des montagnes millénaires, sublimes, des graines bizarres, des animaux, des bestioles ou des lieux vivants. » Car bien sûr, tout n’est pas à jeter : il y a des fulgurances, des amitiés, des liens tissés hors de l’immonde. Entre Anne Sylvestre (« J’aime les gens qui doutent »), les Sex Pistols (« Nevermind the bollocks »1) et Günther Anders (« Je hais donc je suis »), Leïla Chaix, déjà autrice de l’énergique OK Chaos2, ne baisse pas les bras, surtout pas : « Dessous cette haine il y a des larmes / c’est un pessimisme cosmique / qui induit l’amour de ce qui grouille / des larmes à feu, pour le combat. »
Car hors le repli du monde, qu’elle endosse en fuyant la ville pour la vallée de la Roya (« La montagne est un lieu têtu, elle ne se laisse pas enlaidir si facilement »), c’est dans la bagarre et ses étincelles que résiste l’espoir d’une bifurcation : « Qu’est-ce qui fait qu’on lâche pas l’affaire ? / qu’on continue à essayer / faire des brèches / des interstices / qu’est-ce qui fait qu’on est encore là / et qu’en fuyant on cherche des armes et des outils ? » D’une manif No Tav agitée à la défense des derniers squats, les pistes ne manquent pas. Pour elle, graphomane invétérée, cela passe aussi par des jets de plume : « L’écriture est un cri, un cric. C’est une arme ultime de défense. » Et si ça ne suffit pas, il y aura au moins eu un beau baroud d’honneur, glaviot rouge et noir : « La moindre des choses serait quand même de lui gicler des gros geysers de jus bouillant sur sa sale gueule à ce vieux monde. » A voté.
1 Plus ou moins, « On s’en bat les couilles ».
2 Lundi Matin, 2023. Lire « Chaos technique », CQFD n°225 (décembre 2023).
Cet article a été publié dans
CQFD n°243 (juillet-août 2025)
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Paru dans CQFD n°243 (juillet-août 2025)
Dans la rubrique Bouquin
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Mis en ligne le 20.07.2025
Dans CQFD n°243 (juillet-août 2025)
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