Viril était une fois dans l’Ouest

Trouble dans le slip

La question est complexe, n’annulant en rien de rien des siècles d’oppression masculine. Mais le modèle viriliste qui imprègne nos sociétés a aussi des conséquences négatives sur les habitants de la planète zob. Et sur leur sexualité.
Par Etienne Savoye

Oh qu’ils sont nuls. On les a tous et toutes vus pleurer la « mort de la virilité » sur les plateaux télés et les réseaux sociaux. S’égosiller qu’il n’y avait plus de drague possible, plus de « galanterie à la française », plus rien de rien. Les Zemmour, les Soral, les adeptes du c’était mieux avant quand on troussait nos domestiques, et tous les bataillons des frustrés d’Internet qui voient « la » femme comme une conquête de la Pologne. Ils sont l’armée d’une défaite phallocrate qui ne peut que réjouir. Reste que leur désespoir, aux larmes savoureuses, rappelle un constat pertinent si on l’aborde avec tous les guillemets nécessaires : la culture de la virilité, versant mec, c’est pas forcément de la tarte – aujourd’hui comme hier.

C’est ce hiatus que décrypte Oli via Gazalé dans le très recommandé Le Mythe de la virilité – un piège pour les deux sexes1.

Construction d’une oppression

L’ouvrage fouillé d’Olivia Gazalé est à la fois enthousiasmant et déprimant. Enthousiasmant parce qu’elle décrit avec optimisme les évolutions récentes et progressistes de la « masculinité » – tout ce qui fait enrager ces crétins de masculinistes « qui dénoncent une dévirilisation prétendument inédite dans l’Histoire » sans avoir saisi « qu’il s’agit là d’une très ancienne rengaine, reprise de génération en génération ». Déprimant parce qu’il retrace plusieurs millénaires de connerie diligentée par le genre auquel j’appartiens.

La chercheuse résume ainsi sa thèse en début d’ouvrage : « Le malaise masculin est réel […] mais ne résulte pas tant de la récente révolution féministe (processus loin d’être achevé) que du piège que l’homme s’est tendu à lui-même, il y a près de trois millénaires, en accomplissant la révolution viriarcale qui fit de lui le maître absolu de la femme. »

Grosso modo, cela se serait passé ainsi : jusqu’il y a quelques milliers d’années aurait régné sur la planète une « meilleure répartition des pouvoirs entre hommes et femmes [qui] aurait précédé la culture patriarcale ». Puis sur des échelles de temps différentes selon les civilisations et les religions, la femme, qui jusqu’ici était plus admirée que crainte, notamment pour son rôle central dans la reproduction, s’est vu attribuer les stigmates de l’être inférieur, fourbe et dangereux. Et bim, en quelques siècles : « Le monde [bascule] dans une nouvelle ère absolument et radicalement androcentrée. »

On connaît tous Ève et sa pomme maudite, mais des Grecs aux Romains en passant par le Moyen-Orient musulman ou les brûleurs de sorcières du Moyen-Âge, l’histoire a toujours été la même : dévaloriser la femme, l’avilir, la planquer et la frustrer de toute liberté (sexuelle en premier lieu). Le fond du problème, d’une bêtise à chialer : la peur de son sexe, de ses désirs, de ce sang « impur » qu’elle rejette à intervalles réguliers, etc. Sous la plume d’Hippocrate : « La femme est tout entière dans son utérus. »

C’est en s’appuyant sur cette dévalorisation de la femme – jugée plus faible, moins à même de se maîtriser – que le mythe de la virilité s’est progressivement construit, en négatif, posant des standards de comportement écartant toute déviance à la norme. Dans un entretien accordé au super podcast de Victoire Tuaillon « Les Couilles sur la table », reproduit dans l’ouvrage du même nom2, elle qui a dû éloigner son dégoût avant d’aborder le sujet : « Le thème de “l’homme victime” m’agaçait, parce qu’il est en général utilisé par les masculinistes pour dire que l’homme est victime des femmes, mais mon regard a changé. Je pense que les hommes sont victimes, effectivement, mais ils sont d’abord victimes d’eux-mêmes, et d’une certaine image de 1a virilité. », Olivia Gazalé résume ainsi les ru di ments de l’éducation des garçons depuis des siècles : « Un homme, un vrai, c’est quelqu’un qui encaisse les coups, qui méprise la souffrance et cela n’a rien de naturel… C’est forcément quelque chose qui s’acquiert par ce que j’ai appelé le dressage des corps masculins. »

Partant, tout s’enchaîne : le vrai homme ne pleure pas. Le vrai mec sait se battre. Le vrai mâle meurt pour la patrie en souriant. Le vrai gonze n’a rien d’une fiotte. Et aussi : le vrai bonhomme n’a pas d’incertitudes sexuelles, de doutes, d’impuissances – tout cela est réservé à la femme. Il bande dur, il bande fort, il bande longtemps. La performance, encore et toujours. Et la tendresse, bordel ?

50 nuances de performance

Quand l’idée de faire un papier sur ce sujet a été évoquée, il était question que je parle uniquement de mon propre cas – de ce que l’omniprésente injonction à la virilité a opéré sur ma sexualité. « Pourquoi pas  ? », j’ai dit. Alors qu’en fait, et c’est intéressant : j’ai beaucoup de mal à le faire. Sans doute parce que ça brasse très large.

Prélude à ce questionnement spécifique, il y a ce nivellement par la raillerie dans lequel a allégrement baigné mon adolescence. En l’occurrence, cette musique de fond déplaisante déployée au collège : « Crevette », « Corps de victime », « T’as peur des coups ou quoi, la tafiole  ? »

Si déconstruire ce rejet et ses soubassements culturels me semble en apparence fort simple, évident, d’autant que je baigne dans un mi lieu privilégié qui encourage ce renverse ment du regard sur l’identité masculine, et si en tant que mec « hétéro », cis et blanc je n’ai pas eu à endurer le rejet souvent violent vécu par les personnes gays ou trans bousculant bien davantage les normes, cela ne veut pas dire que tout cela ne m’a pas façonné de manière malaisée et ne continue pas à le faire. Reste que j’en parle facilement.

Mais pour le cul, sur lequel j’ai toujours été habité d’une certaine pudeur : c’est plus complexe. Comme si dans ce domaine, les vieux schémas étaient plus difficilement déboulonnables. Comme si j’avais honte, en fait, de ne pas correspondre en tous points au « modèle » attendu. Comme si revenait ce souvenir de moi ado à la piscine observant mes pairs à la dérobée dans mon moule-burnes humiliant : « Je suis normal ou pas  ? »

Ici s’entrechoquent deux regards. D’un côté la conscience objective, imprégnée d’un regard politique se voulant le plus ouvert possible, qui dit que tout va bien, mec. De l’autre la persistance du refoulé social, de l’inconscient culturel, qui se formule ainsi dans les moments de doute concernant mon rapport au sexe (lequel a souvent été tangent, parfois heureux et débridé, parfois angoissé) : la peur de ne pas être conforme, pas comme il faut, pas habile, pas à la hauteur. La hauteur ici étant difficile à quantifier, mais renvoyant à des images mentales brouillonnes mêlant imaginaire du porno mainstream (25 cm et pilonnage forcené), rapport au corps pas top-top et éducation sexuelle globalement pas très ouverte dans mon enfance/adolescence.

Et pourtant, une certaine expérience en la matière et l’écoute des ami.es m’ont depuis longtemps inculqué cette vérité : la sexualité n’est pas affaire de normes. Selon les relations, les moments, les envies réciproques, les peaux en contact, je peux être un jour maestro du sexe et l’autre le mec à côté de ses pompes et des désirs de l’autre. Des galopades mirifiques et des fiascos – ou bien un peu des deux. Logique. Un peu comme pour les meufs (même si la comparaison a sans doute ses limites) – « Il y a autant de façons de rêver, de fantasmer et de jouir qu’il y a de femmes », écrit Olivia Gazalé.

Tout cela est extrêmement banal, mais finalement très peu discuté entre couilles. Et c’est peut-être ça qui est le plus signifiant : hormis les fiers-à-bras dégoisant sur leur mégavirilité, tout individu masculin, quelle que soit son orientation sexuelle, a forcément été confronté à ces questions, tant la pression sociale en ce domaine est prononcée, également dans les milieux militants. La règle en général entre mecs serait plutôt on fanfaronne ou on fait des blagues mais rarement : on s’interroge sur cette injonction à toujours être au top de manière stéréotypée.

Et c’est bien ce que fait le livre d’Olivia Gazalé. Elle interroge. Creuse les racines. Ouvre des pistes. Permet de déceler le virus du viril conformiste planqué en chacun de nous. Et même, youpi, il ouvre des horizons émancipateurs qui aèrent le constat : « La “réinvention de l’homme” ne constitue pas un déclin [...] mais une chance pour l’humanité [...] : celle d’annoncer, non pas la désolante “fin des hommes”, mais l’enthousiasmante naissance de nouvelles masculinités. »

Hal Moon

1 Éd. Robert Laffont, 2017.

2 Binge éditions, 2019.

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