Queen Kong

Pénétration, j’écris ton nom

Accusée de perpétuer une sexualité avant tout reproductive et essentiellement hétérosexuelle, axée sur le désir, le plaisir et le rythme des hommes, la pénétration s’attire actuellement les foudres les plus féroces...

Accusée de perpétuer une sexualité avant tout reproductive et essentiellement hétérosexuelle, axée sur le désir, le plaisir et le rythme des hommes, la pénétration s’attire actuellement les foudres les plus féroces.

Le rapport de domination sous-entendu dans moult insultes s’y référant ne va pourtant pas de soi. Dans le cadre d’un rapport hétérosexuel, la pénétration peut tout aussi bien être vécue comme un moment où une femme prend en elle, enserre, enferme le sexe de son partenaire – et non où elle serait conquise, possédée ou prise. Dans tous les rapports imaginables, la pénétration peut être pratiquée sur bien des orifices, par le biais d’objets divers, avec une imagination dont les médecins urgentistes libérant des rectums peuvent témoigner.

La sexualité pénétrative est une convention sociale certes destinée, comme toutes les autres, à reproduire un ordre (injuste), mais aussi à rassurer les individus qui la respectent : dans la grande vulnérabilité qu’implique souvent un rapport sexuel, et alors que rencontrer un nouveau corps nu est déjà bien assez déstabilisant en soi, des partenaires peuvent avoir besoin de se montrer qu’ils connaissent la musique, suivent une chorégraphie bien apprise.

Il est indéniable que le faible taux de femmes hétérosexuelles prenant régulièrement leur pied grâce à cette pratique donne envie de se pendre1. Il n’est pas moins sûr que, mal mise en œuvre, elle favorise des maux souvent réservés aux femmes : microdéchirures, mycoses, blessures. Il est certain aussi qu’un déroulé s’articulant autour de la pénétration comme alpha et oméga du rapport n’est pas à l’avantage de beaucoup d’entre elles. Mais est-elle pour autant la perfide coupable de toutes nos frustrations ?

La pénétration n’est pas non plus la panacée de tous les hommes, y compris hétérosexuels. C’est, pour beaucoup d’entre eux, un crash-test de virilité dont ils se passeraient bien. C’est aussi un symbole de la façon dont ils sont construits en tant qu’hommes : ils y sont comme ailleurs violemment simplifiés (réduits à leur sexe, « faciles à comprendre », assignés à un comportement binaire) et rendus insensibles (censément toujours capables « d’assurer », jamais déstabilisés).

S’il faut condamner une pratique pour en favoriser d’autres, comme on interdirait les chips à un enfant pour l’obliger à aimer les brocolis, n’est-ce pas le signe d’un manque désastreux d’imagination ? A-t- on vraiment besoin d’une énième moralisation de nos pratiques sexuelles, qui nous raconte encore que nous sommes de mauvaises femmes, féministes, compagnes, partenaires par le simple fait de nos goûts et de nos pratiques ?

À condition qu’on évolue dans un cadre réellement privé, entre adultes réellement consentants, ne serait-on pas plus heureux si nous faisions du sexe, comme de l’humour, un espace de vraie liberté où l’on pourrait se permettre de dire et de faire l’inverse (ou la même chose) de ce qu’on défend d’habitude, de mettre temporairement en actes nos contradictions si terriblement humaines, de lâcher les chevaux ?

N’y a-t-il pas là un grave problème de prise en compte du plaisir des femmes hétérosexuelles mais aussi, plus largement, du plaisir tout court ? Combien d’entre nous sont encore traversés par des exigences de performance, d’absurdes volontés de se prouver des choses, une morale judéo-chrétienne aussi collante qu’Éric Zemmour sur un plateau de CNews et, plus largement, le refus d’éprouver le bonheur même le plus éphémère de peur qu’il se sauve ?

Il n’est qu’à voir à quel point la morale gangrène le monde militant, comme tous les autres, pour constater à quel point la conviction que nous sommes sur terre pour souffrir reste tenace. On n’est jamais assez radicaux, assez conscients, assez angoissés, assez mobilisés, et quiconque ose dire dans un monde comme le nôtre qu’il est heureux malgré tout se voit immédiatement taxer de naïveté, de bêtise et d’aveuglement politique.

À part peut-être un entraîneur de footballeurs, plus personne ne peut pourtant avancer décemment que les orgasmes empêchent de travailler, de manifester ou de réfléchir. En pénétrant ou en enserrant, en doigtant, mordant, suçant, léchant, embrassant ou en ne faisant rien de tout cela, jouissons vite ou longuement, bruyamment ou silencieusement, ensemble ou séparément, mais jouissons.

Marie Hermann

>>> Cet article est extrait d’un dossier de 17 pages consacré aux sexualités, publié sur papier dans le numéro 189 de CQFD (juillet-août 2020).


1 De 25 à 30 % selon le Nietzsche de la sexualité pénétrative, Martin Page. Au-delà de la pénétration, Le Nouvel Attila, 2020.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
2 commentaires
  • 27 août 2020, 16:47

    Bravo Madame.

  • 1er septembre 2020, 19:17

    Oui ! Jouissons de cette vie qui nous est donnée, que nous n’avons pas à gagner, et que nous pouvons partager comme bon nous semble. Bisou. Yv