Queer, old, love

L’amour ne meurt jamais

Dans La montagne entre nous, Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers racontent les retrouvailles de deux femmes queers dans un village de montagne. Une BD pudique et sensible sur l’exil, les silences et l’amour qui persiste malgré les années.

Tout commence dans un train. Le paysage de montagne défile par la fenêtre. Marcia rentre au village, après quarante ans d’absence. Elle revient pour un enterrement et s’occuper de sa mère malade – ou peut-être pour autre chose. C’est un retour au pays, au silence, aux souvenirs, aux fantômes. Et à Florence aussi. Dans La montagne entre nous (Sarbacane, 2025), Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers racontent les retrouvailles de deux femmes. Marcia, partie mener sa vie à la capitale a pu vivre sa sexualité avec une certaine liberté. Florence, elle, est restée au village, s’est mariée. Entre elles, une histoire d’amour de jeunesse jamais vraiment dite, jamais vraiment oubliée.

À travers ces deux trajectoires, l’exode urbain et la vie au village, la BD interroge : que veut dire aimer quand on est lesbienne à la cambrousse ? Pourquoi est-ce que la ville paraît si souvent être le seul refuge possible ? Et les départs ? Ne sont-ils pas une forme de survie ? « Comment les gens naissent et meurent au même endroit ?  » se demande Marcia. On sent l’exil forcé, le poids des regards. « Passer son enfance dans l’austérité, ça donne des envies de fête », confie-t-elle à Florence. Tout est dit. Le dessin, en aquarelles pastel, aux traits fins presque tremblants, épouse cette atmosphère d’intimité et de non-dits. Les planches varient le rythme, six cases, trois, parfois une pleine page, pour laisser respirer les émotions, les paysages, les silences. Parfois plusieurs pages se tournent sans un mot. Les images parlent d’elles-mêmes. Le traitement des temporalités est subtil : chaque époque a sa palette, mais toutes sont baignées d’une même douceur mélancolique. Cette pudeur graphique contraste parfois avec la dureté de ce qui est évoqué : les souvenirs de violences familiales et sociales, le jugement d’une aide-soignante, les tensions gelées dans les rues désertes du village. L’un des moments les plus forts de l’album est aussi l’un des plus rares en bande dessinée (et en fiction en général) : une scène d’amour entre deux femmes de plus de cinquante ans. Leurs corps nus, marqués par le passage du temps, sont montrés sans fard, avec délicatesse et vérité. Dans un paysage éditorial saturé d’amours jeunes et minces, cette représentation a la force d’un manifeste doux. Oui, le désir et la tendresse n’ont pas d’âge. Après quarante ans à se cacher, à se conformer à un moule, à des normes, Florence prouve qu’il est toujours possible de vivre ses rêves. Et l’amour.

En filigrane, une autre histoire se dessine. Celle de la mère de Marcia, qui porte également ses secrets : une guerre, un amour, une tonte. « Des choses dont plus personne ne parle.  » Le silence, encore. Sur les ondes d’une radio, les débats sur le mariage pour tous, les manifs de droite, viennent rappeler que ces histoires interdites ne font pas uniquement partie du passé. Dans ces paysages de montagne, ces ciels étoilés, les deux auteur·ices livrent une bande dessinée qui célèbre la vie et l’amour.

Thelma Susbielle

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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CQFD n°243 (juillet-août 2025)

Dans ce numéro d’été, on se met à table ! Littéralement. Dans le dossier d’été, CQFD est allé explorer les assiettes et leur dimensions politiques... Oubliés le rosé et le barbeuc, l’idée est plutôt de comprendre les pratiques sociales autour de l’alimentation en France. De quoi se régaler ! Hors dossier : un mois de mobilisation pour la Palestine à l’international, reportage sur le mouvement de réquisition des logements à Marseille, interview de Mathieu Rigouste qui nous parle de la contre-insurrection et rencontre avec deux syndicalistes de Sudéduc’ pour évoquer l’assassinat d’une Assistante d’éducation en Haute-Marne...

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