Bouquin

Toute honte bue, les ventes d’armes tuent

Au classement mondial des exportations d’armes, la France figure à la troisième place. Le tout récent livre-enquête Ventes d’armes, une honte française couvre cet accessit d’un voile noir de rage et rouge de sang.

Dans sa version papier, cette recension accompagnait un article intitulé « Dockers de tous les pays unissez vous », racontant la lutte de travailleurs portuaires génois pour faire obstacle au trafic d’arme.

Les ventes d’armes. Le sujet est austère. Déjà lu, traité, décortiqué, condamné... Sans effort, on peut trouver thème plus « sexy » dans les pages de son journal, ou dans les rayons des librairies. Et pourtant… Les deux auteurs de Ventes d’armes, une honte française (Le Passager clandestin) réussissent ce tour de force : embarquer leurs lecteurs dans 192 pages de dénonciation de ce commerce mortifère. Pour cela, Aymeric Elluin (spécialiste « armement » à Amnesty International) et Sébastien Fontenelle (journaliste1) ont bien combiné le fond et la forme.

D’une part, l’ouvrage est soigneusement documenté, fourmille d’exemples, met en lien des faits éloignés pour taper fort, plus spécialement sur les deux derniers gouvernements, ceux de François Hollande (PS) et Emmanuel Macron (LREM, ex-PS). D’autre part, la construction du bouquin ne laisse pas l’occasion de s’échapper : les chapitres sont courts, incisifs, et bien pourvus en cliffhangers incitant à passer au suivant.

La quatrième de couverture est claire : « Depuis plus de cinquante ans, faisant fi de ses engagements au profit de ses intérêts économiques, le “pays des droits de l’homme” arme des régimes qui les bafouent ouvertement. Une stratégie payante : la France est aujourd’hui le troisième exportateur mondial de matériel militaire. » Comme elle l’a déjà été par le passé. Car, avant de décortiquer l’histoire récente des ventes d’armes, l’ouvrage remonte à la deuxième moitié du XXe siècle, présentant la mise en place de ce commerce souvent vilipendé, rarement limité. Est particulièrement développée la trahison – une de plus – du Parti socialiste en la matière, puisque la promesse du candidat François Mitterrand de « mettre fin aux pratiques délétères qui ont permis [à la France] de se faire une place dans le commerce mondial des armes ne sera pas tenue ». Parmi les clients sous ses deux septennats ? L’Afrique du Sud de l’apartheid.

Jacques Chirac et, après lui, Nicolas Sarkozy, « s’inscrivent, l’un et l’autre, sans jamais l’infléchir, dans le droit fil » de leurs prédécesseurs. Puis François Hollande resifflotera en 2012 l’air des promesses de 1981. Résultat : son gouvernement vendra à l’Égypte des armes qui serviront bien le général (et futur président) Abdel Fattah al-Sissi lors de son coup de force du 14 août 2013 – « mille morts et plusieurs milliers de blessés » et des « milliers d’opposants […] arrêtés, incarcérés, torturés ». Puis viendront les livraisons à l’Arabie saoudite, en guerre au Yémen depuis 2015, sans que ne cille le Premier ministre Manuel Valls malgré les alertes répétées des ONG.

Plus récemment ? En campagne pour la présidentielle de 2017, Emmanuel Macron jouera à son tour à plus-droit-de-l’hommiste-que-moi-tu-meurs. Mais pour du beurre. S’il est avéré que les armes françaises sont utilisées en Égypte pour écraser toute opposition, à aucun moment les transferts de matériel militaire vers ce pays ne sont suspendus, malgré les remontrances de l’Union européenne. Et si la guerre se poursuit au Yémen, il en va de même pour l’équipement tricolore des principaux protagonistes, Arabie saoudite en tête.

Marchand de mort est donc toujours un métier d’avenir. À condition de s’investir pleinement et de ne pas s’appesantir sur les à-côtés. Fin novembre, le média d’investigation Disclose révélait « l’implication de la France dans les crimes de la dictature égyptienne » après avoir épluché des centaines de documents « confidentiel-défense ». Plus clairement : depuis fin 2016, « l’Égypte se sert d’une aide militaire française destinée à lutter contre le terrorisme afin de bombarder des civils suspectés d’être des trafiquants ». Horreur. Face à une telle ignominie, le gouvernement français allait, à n’en point douter, monter au créneau. Oui. Mais non. « L’unique réaction […] aura donc été le dépôt d’une plainte pour “violation du secret de la défense nationale” », déplorait récemment Sébastien Fontenelle sur Twitter. Un esprit mal tourné pourrait penser que les contrats d’armement – passés, et à venir – ont interféré dans le choix de la réaction à adopter.

Jean-Baptiste Legars

1 Il a tenu la chronique « Rage dedans » pendant plusieurs années ici même à CQFD.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°204 (décembre 2021)

Dans ce numéro, un dossier « Santé connectée : le soin sans l’humain ». Mais aussi : des articles sur la traque des exilés à Briançon et des deux côtés de la Manche, une enquête sur le prochain référendum en Nouvelle-Calédonie, des dockers en lutte contre l’industrie de l’armement, une envolée médiatique vers les Balkans, des mouettes conchiant les fascistes...

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